Rencontre avec Bout-à-Bout : « Ce sont des projets qui nous tiennent à cœur »

Alors que dans quelques jours leur campagne de financement s’achève, nous avons rencontré le collectif d’étudiants à La Factory, Bout-à-Bout, qui cherchent à réunir la somme de 30 000€ pour réaliser leurs projets de fin d’études…

Bonjour ! Est-ce que vous pourriez vous présenter, ainsi que nous parler de vos projets de courts-métrages ? 

Evance : Je m’appelle Evance Breteuil, j’ai suivi le cursus réalisation qui se fait en trois ans. En deuxième année j’ai eu l’occasion de réaliser deux courts-métrages : un de cinq minutes et un de dix minutes. C’est mon troisième court-métrage. C’est un western qu’on va tourner dans la Haute-Savoie, dans les montagnes. On suit l’histoire d’un trappeur, Charles Connelly, qui se fait voler ses peaux et qui part en chasse pour retrouver le voleur… Je n’en dirai pas plus ! C’est un court-métrage de quinze minutes, ayant pour vocation d’être un film de fin d’études mais aussi à être montré dans des festivals.

Faustine : Je m’appelle Faustine Masingarbe, je suis en production-assistanat-réalisation en troisième année. Comme en deuxième année j’ai réalisé la production du film de Julia Chapot (Da Lost Boyz), et que j’avais une idée de scénario dans la tête depuis un moment, j’ai décidé de réaliser mon film, de montrer que les prods ne font pas que des budgets ! Mon projet, c’est l’histoire d’un père de famille quarantenaire qui va profiter de l’absence des siens pour inviter au restaurant une adolescente de quinze ans. Quasiment tout le court-métrage s’y déroule et au fur et à mesure de la conversation un jeu de séduction va se créer entre eux, jusqu’au moment où ce père de famille va se retrouver pris au piège – et trois points de suspension ! Suspense ! (rires)

Bout-à-Bout est un projet ambitieux. Combien de films sont prévus ?

Evance : Il y a une web-série, un stop-motion, un spectacle de tango, une pièce de théâtre, plus 8 courts-métrages. Ça fait 12 projets.

Comment est-ce que vous en êtes venus à créer Bout-à-Bout ?

Evance : Pour comprendre Bout-à-Bout, il faut comprendre que les années précédentes les troisième années fonctionnaient chacun de leur côté. Tous les prods, comme Faustine, allaient chercher de l’argent – via des crowdfunding, et des mécènes, des sponsors, chacun de leur côté. On s’est dit : « c’est toujours trop dur » : on peut pas demander de grosses sommes, ça fait plusieurs années que les directeurs voulaient centraliser les demandes en les rattachant non pas à l’école mais à l’association de l’école. Nous avons donc créé Bout-à- Bout : cela nous permet de faire de plus grosses demandes de subventions, de viser de grosses entreprises, et vu que c’est rattaché à l’association, on peut défiscaliser. C’est justement ce qui intéresse les entreprises parce qu’il faut être honnête : une entreprise qui travaille dans le BTP ne nous connaît pas, c’est leur seul intérêt… Et tant mieux si après il y a un projet artistique ! Enfin, on s’est dit qu’il fallait être solidaires : certains projets peuvent se financer sans Bout-à-Bout, d’autres non. On a décidé que les plus gros aideraient les plus petits.

Un film de fin d’étude en école, concrètement, ça coûte combien ? Est-ce que Bout-à-Bout vous aide à gagner plus d’argent que vous n’en auriez eu individuellement ?

Evance : En tout, avec Bout-à-Bout, on est parti sur un projet à 70000€. Pour les financer en mode confort.

Faustine : Très confort.

Evance : Un projet comme le mien, pour être très confort, il nous faudrait 7400€. Faustine, c’est 6500€. Après, on essaie de réduire les coûts au maximum.

Faustine : Plus on affine nos budgets, plus finalement les 70 000€ correspondent à une somme dont on a pas forcément besoin.

Evance : Il nous en faut au moins 30 000€.

D’où les 30 000€ du Ulule que vous organisez ?

Evance : C’est ça, on visait 30 000€ grâce à Ulule, et 40 000€ grâce au mécénat. Mais le mécénat c’est difficile. Souvent, on reste sans réponse. On cherche partout. On va aller vendre des viennoiseries pour se faire un peu de sous. Tout est bon à prendre.

Est-ce que vos projets auraient eu ces budgets sans Bout-à-Bout ?

Evance : Je fais parti avec Faustine des gens qui se sont investis dans Bout-à-Bout suffisamment pour savoir que même sans le projet on aurait eu nos budgets. Mais d’autres ne peuvent pas avoir ces sommes, donc on prend des mesures qui se durcissent un peu. Mais le but c’est de ne pas avoir à dire « tu n’as pas réussi à apporter ta part, donc tant pis pour toi ». Par exemple, notre film de deuxième année, dix minutes, fait avec les moyens du bord, m’a coûté 400€. Si je devais payer des gens, les assurances, au SMIC, on en était à 80 000€. Pour le projet que je porte actuellement, on serait à… 100 000€ facilement.

Faustine : Les gens ne se rendent pas toujours compte de combien coûte un film. Evance fait parti de ceux qui s’intéressent à leur production. Mais moi, ça m’est déjà arrivé de bosser avec des réals en deuxième année et le jour où tu leur apportes le vrai devis de combien ça aurait vraiment coûté… On arrive à faire les choses avec très peu d’argent, mais en réalité, faire du cinéma ça coûte super cher. Avec Bout-à-Bout, vouloir réunir 70 000€, les gens parfois ne comprennent pas où est-ce que va cet argent, c’est pour cela qu’on essaie de ponctuer avec des vidéos, d’expliquer, de faire des graphiques, histoire que tout le monde puisse comprendre. Si on a pas son nez dans le milieu, les gens ne savent pas combien coûtent ces choses.

Evance : Un film français moyen classique au cinéma ou juste parfois à la télé, c’est 5 000 000€. En soit, on fait des films low-cost avec des rendus et des qualités cinémas.

Faustine : Da Lost Boyz, pour donner une idée, c’était un budget de 10 000. Le budget réel, c’était 150 000€. En même temps, les salaires, les charges patronales, c’est ce qui coûte le plus. Une fois que c’est enlevé, ça allège.

En partant de la base que vous avez l’argent, qu’est ce qui se passe ? Vous faites vos films ?

Evance : On fera nos films avec ou sans cet argent. C’est pas des films qu’on fait parce qu’on doit les faire mais parce que ce sont des projets qui nous tiennent à cœur. Ce sera de la débrouille, ce sera dur, mais on essaiera de faire quoi qu’il arrive.

Faustine : Après, les contraintes font qu’on se creuse la cervelle, qu’on trouve des solutions, qu’on réalise des trucs qu’on aurait pas pensé. C’est bien de sortir de sa zone de confort. Ça permet des choses sympas. Mais ce serait douloureux de pas atteindre nos budgets, on s’est démenés.

Ce qui est intéressant avec votre projet, c’est que vous réunissez des projets très différents.

Evance : Le lien, c’est que tous sont des projets de fin d’études. Après la différence, c’est qu’effectivement, on a plusieurs médias pour les diffuser. Du théâtre, de l’animation en stop-motion, la web-série… De base nous ne faisons pas ça pour valider nos diplômes, et par la suite, il s’agit de se faire connaître. Aller en festival, par exemple, récolter de quoi continuer. C’est notre tremplin.

Donc votre école ne vous impose pas un format délimité ?

Evance : Non, on peut nous restreindre mais c’est toujours bienveillant : si je dis « ok, je veux faire un long-métrage », ça va être chaud. Parce que trouver l’argent, tourner, monter, c’est un peu compliqué. Mais y’en a qui ont essayé. Par contre moi je me suis limité à 15 minutes, on essaie à se limiter à 23 minutes maximum, pour rentrer dans les durées de festivals… Je ne crois pas que quelqu’un veut faire plus, mais pour la web-série, ils font le nombre d’épisodes qu’ils veulent. Après, si c’est totalement irréalisable, l’école dira « stop, on arrête dans ce cadre-là. Si vous voulez le faire, faites le, mais vous allez vous planter ». Voilà le regard que porte l’école : on a passé deux jurys en tout, c’est avec eux qu’on essaie de savoir si le projet est toujours viable, est-ce qu’on peut le faire ou pas.

L’école participe-t-elle au financement de vos courts-métrages ? Est-ce qu’elle fournit du matériel ?

Evance : Nous avons accès à tout le matériel que propose l’école. Financièrement, « Talent Factory » est une association dédiée aux anciens étudiants de l’école de base, mais qui donne chaque année une somme pour les projets de fin d’année. C’est l’ancien directeur, François Villet, qui avait mit ça en place. À proprement parler, l’école ne donne pas d’argent, c’est à nous de trouver le financement, mais ils nous prêtent le matériel de l’école si besoin. Si nous voulons une caméra de Panavision, ou une plus grosse caméra, là, c’est à nous d’essayer de nous financer.

Le matériel de l’école n’est pas suffisant ?

Faustine : Pour un film de troisième année, on estime qu’on est sensé aller tourner avec de plus grosses caméras, même si en soit, avec zéro budget, on aurait pu faire nos films ici. En troisième année on essaie de relever le niveau.

Evance : C’est ça, le matos qu’on a ici, c’est du très bon matos pour en faire une diffusion web ou sur ordi. Mais si c’est pour de la diffusion sur grand écran, ça fait une différence. On l’a fait, ça se fait… c’est vite limité.

Après, Bout-à-Bout a vocation à continuer, pour que vous restiez en réseau ou même pour les étudiants des années qui viennent ?

Faustine : C’est un peu le but, oui. C’est ce qu’on essaie d’inculquer aux années en dessous de nous. On essaie de leur faire comprendre qu’on veut voir durer ce collectif dans le temps. Ce qu’on veut acheter avec l’argent du collectif, c’est des décors, des costumes. Ça peut tenir dans un dépôt pour le collectif qu’ils pourront réutiliser les années d’après et petit à petit, faire une vraie banque. Même les entreprises qu’on démarche, tout est noté, répertorié, référencé… Ce sont des gens qu’on pourra recontacter ensuite. La troisième année, c’est l’année du lancement, on va chercher qui connaît qui, quelle entreprise, quel financeur, etc ! L’idéal ce serait que cela perdure. Dans quelques années ça pourrait vraiment devenir sympa. Ils pourraient récolter plus d’argent encore l’année prochaine.

Evance : On a démarché papier trois cents entreprises, on a récolté des mails dans tous les sens. Pas que sur Lyon. Les tournages se font dans l’Ain, à Lyon, en Suisse, je tourne en Haute-Savoie, on a même un film qui se tourne en Algérie… Le truc central, c’est Factory Lyon, mais on ne cherche pas qu’à faire des courts-métrages ici ! On va avoir de la science fiction dans un truc, on va avoir des lieux exceptionnels : la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon, la CCI, à Cordeliers. On va avoir un film dans le désert et un film en montagnes enneigées. On nous dit parfois qu’on peut faire des films avec 100€. Oui, mais bon, notre but c’est de devenir pro. On essaie de faire de grandes choses, de belles choses, à voir si on y arrive. Si on se casse la gueule, on était à l’école, tant pis.

Faustine : On porte tous des projets depuis longtemps, il y a des intentions fortes, des thèmes forts, des gens intéressés et à fond. On fera pas tous des chefs d’œuvre, mais on a tous travaillé dur pour avoir des choses à la fin.

Comment est-ce que vous vous voyez après l’école ?

Evance : Célèbre. Avec pleins de voitures. (rires)

Faustine : Du coup c’est bizarre je fais de la réalisation cette année alors que moi ce qui m’intéresse c’est l’assistanat à la réalisation – ce que je fais sur le projet sur Klaus Barbie. Je sais qu’en sortant de l’école c’est vers ça que je vais aller. C’est ce qui me sauvera tout de suite parce que des gens qui savent gérer humainement et en terme de financement, c’est plus recherché qu’un cadreur qui sort de l’école, qui n’a pas encore un gros réseau.

Evance : Chômage. (rires) En fait l’avantage des prods c’est qu’ils peuvent être salariés. Moi je vais partir voyager pendant un an. Après, je vais me rediriger vers la vidéo sportive. Je fais beaucoup de sport et ça m’intéresse. Mais je n’abandonne pas pour autant le cinéma. Je pense que ce qui nous retient tous dans le cinéma, c’est qu’on a des choses à raconter. J’ai des trucs à dire. Tous les matins, je me réveille avec des trucs à raconter. Alors parfois c’est nul, hein, c’est ma copine qui les entend et n’en peut plus. Mais c’est ça qui nous fait rester, c’est qu’on a pleins de trucs à raconter aux autres. Je ne sais pas où on sera dans dix ans, mais on sera en train de raconter des trucs.

Pour suivre leurs projets, n’hésitez pas à visiter leur site officiel ou à soutenir ici en participant à leur campagne de financement !

Quelques membres du collectif Bout-à-Bout… – Photo Lucas Nunes de Carvalho

Auteur : Lucas NUNES DE CARVALHO

Vice-président de l'association LYF - Le Film Jeune de Lyon, responsable éditorial du blog "Le Film Jeune Lyonnais" et en charge du développement culturel

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