Chambre 212 marque de façon insolente et légère l’actualité du cinéma de Christophe Honoré. Après un cycle de films sombres et souvent musicaux, ainsi qu’un passage par le théâtre, le réalisateur met en scène la crise d’un couple qui se retrouve face à ses fantômes par fenêtres interposées.
Les choix narratifs du film semblent faire la synthèse des différentes activités du réalisateur. En effet, au travers d’une œuvre malicieuse, de nombreux procédés relatifs à différents types d’arts sont dissimulés. La rue est tout d’abord présentée comme un décor dont la scénographie semble être empruntée à celle d’un plateau de théâtre. Les deux fenêtres des immeubles se font faces, comme si deux périodes de la vie d’un couple se regardaient en miroir. Une esthétique du délabrement semble avoir été recherchée pour l’appartement conjugal, symbolisant l’ennui dans lequel s’était installée la relation. De l’autre côté de la rue, la chambre 212, où semble exister un espace hors du temps, presque fantastique. L’utilisation de la fumée, les porte qui claquent, un très mauvais sosie de Aznavour grimé en Jiminy Cricket : tout apparaît avoir été choisi comme avatars de contes merveilleux pour matérialiser l’irréalité de cette histoire. Comme dans une pièce de théâtre, les entrées et sorties des personnages marquent les débuts et les fins de scène. On peut également noter une omniprésence du motif du rideau ou de la porte, qui s’ouvre sur des secrets ou des fantômes. Ce ballet fait valser les différentes époques de la relation et donne notamment un coté très espiègle aux autres personnages-figurants du film. C’est également une des premières fois que l’on peut noter une utilisation presque totalement intradiégétique de la musique chez Christophe Honoré sans passer par des acteurs-chanteurs. C’est également un film « très parlant » et qui a comme arme principale une écriture ciselée et intelligente. La beauté du film, au-delà de la finesse de son écriture, réside aussi dans le choix de Chiara Mastroianni. Elle n’est pas idéalisée dans un rôle de Don Juan mais bien comme une femme en proie à ses désirs et au temps qui passe. C’est une proposition de rôle très intéressante méritant amplement son prix d’interprétation à Cannes.

Chambre 212 est également un film de cinéma qui aime le cinéma. En effet, les pérégrinations amoureuses se font sous le regard bienveillant de références cinématographiques savamment distillées dans le film. Les néons du cinéma des « 7 Parnassiens » est un point de fuite pour le regard du spectateur. Y trône l’affiche de plusieurs films dont celle de Grâce à Dieu, le dernier film de François Ozon. Le principe même de faire s’installer l’actrice dans la chambre d’hôtel en face de chez elle semble être un pur mimétisme de l’attitude du personnage de Jean-Pierre Léaud dans L’amour à 20 ans. L’apparition solaire et furtive de Carole Bouquet ne peut faire que penser à Bertrand Blier et son Trop belle pour toi.
Le huis-clôt dans la chambre 212 est hors-temps, une déambulation fantasmagorique au cœur des troubles d’un couple moderne. Le mariage, le code civil, les promesses, rien n’est sacralisé, tout prend une dimension humaine et provoque le rire du spectateur. Nous pouvons noter le contre-emploi de Benjamin Biolay qui se traîne magistralement bien durant tout le film, la fragilité malsaine de Camille Cottin est efficace et crédible, la désinvolture pétillante de Vincent Lacoste vient ajouter la touche de dérision qu’il manquait à son double plus âgé. L’intérieur des tiroirs de ce film est teinté de mélancolie mais qui ne vient jamais contaminer les émotions du spectateur. C’est un film qui, au même titre que ses personnage, est rempli de charisme. Une histoire très aérienne construite comme une course poursuite entre les souvenirs et les désirs.
La morale, si tant est qu’il y en existe une, se résumerait à une mise en abîme du principe même du jeu. La nécessité du couple de retrouver le plaisir de jouer ensemble, et non plus avec des partenaires extérieurs, de retrouver le frémissement et le désir du jeu de séduction qui les réunit timidement au petit matin.
On sort de Chambre 212 comme d’une nuit partagée douce et agitée, d’un rêve dont on a pas envie de sortir, de draps qui nous retiennent dans une chaleur moite. En ce mois d’octobre, on découvre avec douceur l’automne d’un couple.
Chambre 212 (2019) de Christophe Honoré, avec Chiara Mastroianni, Vincent Lacoste, Camille Cottin. Sorti en salles le 9 octobre 2019.
Super Chiara Mastroianni, je trouve qu’elle s’améliore en vieillissant et elle à de plus en plus de consistance dans ses roles.