Clermont 2020 | Savoir dire beaucoup avec peu

La 42e édition du Festival de Clermont-Ferrand, qui s’est tenue du 31 janvier au 8 février 2020, aura été marquée par l’habituelle excellence attendue de la plus grande réunion de courts-métrages au monde. Dans la diversité des œuvres présentées se dessinent des récurrences, à la fois sur l’état du monde, dans la manière d’aborder des sujets de société, dans leur désir sincère de raconter des histoires… Retour sur les quelques films que nous retiendrons de notre présence là-bas.

On avait déjà remarqué une tendance à revisiter l’éducation sentimentale chez les jeunes cinéastes francophone et c’est ainsi l’un des sujets qui reviennent régulièrement. Malgré des redites, le thème est parfois traité avec une certaine intelligence. On citera pour l’exemple le film de Julien Gaspar-Oliveri, L’Âge tendre (F1), porté par l’excellente Noée Abita, découverte il y a quelques années dans le premier long-métrage de Léa Mysius, Ava. Très beau film aussi dans le même registre, le portrait de cette jeune adolescente souhaitant avorter, dans Matriochkas (I1) de la belge Bérangère McNeese, récemment couronné du Magritte du meilleur film court. Deux films dessinant un portrait sombre d’une jeunesse se cherchant à travers l’histoire de jeunes femmes confrontées à des choix difficiles face à des environnements sociaux qui semblent rejeter leurs aspirations.

Véritable coup de cœur : le premier film de Maïté Sonnet, Massacre (F3). Deux jeunes sœurs vivant sur une île sont obligées d’en partir avec leur famille. La cause : l’afflux de touriste y a fait monter le niveau de vie. Un film politique – avec un jeu subtil sur la question du regard porté par ces jeunes filles sur ces bourgeois nouvellement installés, au dénouement volontairement provocateur, admirablement amené.

Parmi les recherches esthétiques les plus fortes, citons Girl in the Hallway (I1). Construit à partir d’une histoire vraie, celle de la disparition d’une jeune fille dans un quartier populaire, le film est constitué comme un documentaire en animation reposant sur cette direction artistique atypique, très physique, avec ses dessins imparfaits dus au charbon et au pastel. La noirceur du film en est renforcé alors que la voix-off, répondant à son impuissance par la colère, devient de plus en plus douloureuse. Le film est d’autant plus une révélation qu’il s’agissait du premier court-métrage de sa réalisatrice, la canadienne Valerie Barnhart.

La Fémis, la grande école du cinéma en France, a tenu son rang grâce à deux films de ses étudiants. Le premier, La Place du Mort (F5) de Victor Boyer, raconte les conséquences de la reconstruction d’une famille suite à un drame raconté face-caméra lors d’un monologue génialement joué par l’acteur principal, Christophe Montenez. Non content d’être une des plus belles interprétations du Festival, le film se permet de se transformer en thriller derrière la fausse simplicité narrative, en se révélant être une sorte de relecture du mythe d’Abel et Caïn. Autre proposition, le documentaire Clean with me (After Dark) (F5) de Gabrielle Stemmer, qui nous aura fait découvrir le principe de ces vidéos YouTube où de jeunes femmes se filment faisant le ménage chez elles pendant des heures. Passé le rire de la découverte, le film se transforme par les témoignages qu’il rapporte, révélant les mécanismes d’oppression vécues par ces femmes, et la réalité sociale que ces vidéos dissimulent.

Indiscutablement, un chef d’œuvre aura été présenté durant le Festival de Clermont-Ferrand. Un film primé à Annecy et nommé aux Oscars : Mémorable (F3) de Bruno Collet. Celui-ci s’offre à la fois d’être bref (il ne dure que dix minutes), et d’une extraordinaire complexité, en racontant les conséquences d’une maladie neurodégénérative sur une personne âgée. La croyance totale dans son médium pour illustrer et mettre en scène ce moment traumatique, pour faire éprouver par son image, par sa direction artistique, par sa construction, la tragédie traversée par son personnage, est extraordinaire. Sans doute une des grandes propositions de cinéma de ce festival, parce qu’il cherche à répondre à une véritable question de mise en scène : montrer l’oubli, alors que le cinéma est l’art de la mémoire, du souvenir. Rarement un film aura aussi bien porté son nom.

Auteur : Lucas NUNES DE CARVALHO

Vice-président de l'association LYF - Le Film Jeune de Lyon, responsable éditorial du blog "Le Film Jeune Lyonnais" et en charge du développement culturel

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