[Lumière 2017] On se souvient de Wong Kar-Wai (Jour 8-9)

Le grand jour est enfin arrivé. L’amphithéâtre 3000 est bondé, les invités sont nombreux, tous réunis pour remettre le prix Lumière à Wong Kar-wai. Celui-ci s’est ainsi prêté au jeu du festival en retournant le lendemain le premier film et en venant à la cérémonie de clôture, à l’occasion de la projection en avant-première mondiale de la restauration de In The Mood for Love. Continuer la lecture de « [Lumière 2017] On se souvient de Wong Kar-Wai (Jour 8-9) »

[Lumière 2017] – Melville, Moroder : les hommages de Lumière 2017 ! (Jour 6/7)

Nous fêtions, le 20 octobre dernier, le centenaire de la naissance de l’un des plus grands cinéaste français : Jean-Pierre Melville. Si son nom est très largement associé à celui de ses acteurs (Belmondo, Delon,…) et à un genre (le polar, dont il est le grand représentant français), on oublie parfois que ses héritiers se trouvent, pour certains, en Asie. Et oui : Melville s’exporte très bien ! On sait ainsi que les sud coréens et les hongkongais ont vu et se revendiquent parfois ouvertement de Melville. Park Chan-wook, Bong Joon-ho, John Woo – ce dernier ayant même réalisé un film-hommage, The Killer, « remake » du Samourai melvillien. Car « melvillien » est un mot qui existe. Un adjectif formidable, qui signifie qu’en France, il y a un cinéma noir. Dans ce cinéma noir, on s’habille en imperméable beige. Dans ce cinéma noir, on porte un chapeau en tout temps et même à l’intérieur. Dans ce cinéma noir, on regarde ses pieds en marchant rapidement dans les rues sombres des grandes villes. Dans ce cinéma noir, on va souvent vers la mort : une vie courte, mais intense, dédiée au crime, au jeu, aux femmes et à un rêve de vie meilleure. Continuer la lecture de « [Lumière 2017] – Melville, Moroder : les hommages de Lumière 2017 ! (Jour 6/7) »

[Lumière 2017] Friedkin, le Grandmaster ! (Jour 5)

Si Wong Kar-wai a été très discret durant sa présence à Lyon, William Friedkin, lui, ne l’a pas été (pour notre plus grand bonheur). Monologuiste hors-pair, il aura été par trois fois, au Comoedia, capable de tenir le micro sans interruption devant des salles pleines pour nous raconter l’histoire de ses chef-d’œuvre. Quel bonheur ce fut ! Accompagné par Samuel Blumenfeld, journaliste à Le Monde, n’avait guère qu’à lancer le réalisateur de L’Exorciste en une ou deux questions. Passionnant, Friedkin laissait même la possibilité aux personnes présentes dans la salle de poser des questions ! Inutile de dire qu’une présentation durait une bonne demi heure au moins… Ses films sont hors-norme, ce qu’il nous a raconté l’était aussi. C’est à se demander qu’est ce qui est vrai et qu’est ce qui est exagéré. Print the legend, comme on dit.

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[Lumière 2017] Mystérieux, Clouzot ? (Jour 4)

Cette année était aussi l’occasion de redécouvrir l’oeuvre d’Henri-Georges Clouzot. Réalisateur à la réputation de tyrannique, il n’en est pas moins l’un des plus grands cinéastes français de l’après guerre. Le Festival Lumière lui aura ainsi rendu hommage à l’occasion du centenaire de sa naissance et de la restauration d’un grand nombre de ses films – certains étant devenus particulièrement rares en salle. Cette rétrospective intégrale était de plus complétée par plusieurs films où Clouzot n’était que scénariste, et de quelques documentaires, directement consacrés au réalisateur (Le Scandale Clouzot de Pierre-Henri Gibert), ainsi qu’un documentaire sur la société de production La Continental (La Continental : Le mystère Greven de Claudia Collao), gérée par les allemands pendant l’occupation.

Revoir ses expérimentations pour le célèbre non-film (car jamais achevé) L’Enfer ne tombait pas dans l’oreille d’un sourd. Documentaire passionnant sur un fiasco monumental, le film dépeint à la fois la pensée d’un génie (il suffit de voir les rushs, seuls restes de cette tentative) mais aussi le pervers de la production cinématographique (Clouzot ayant eu pour ce film des moyens hors-norme : l’argent, les acteurs, la technique, le tournage avait même commencé). Il avait été, en fait, piégé par sa propre folie perfectionniste. Le cinéma, c’est aussi l’art des relations humaines, de leur gestion. Il faut avoir un sens de l’entreprise, de l’optimisation, garder un cap de socialiste même si l’on ne compte pas ses heures. Bref, que des choses que n’avait pas Clouzot. Continuer la lecture de « [Lumière 2017] Mystérieux, Clouzot ? (Jour 4) »

[Lumière 2017] Le cinéma est mort (Jour 3)

Commencer sa journée en entendant Bertrand Tavernier parler de cinéma, c’est toujours bien la commencer. Surtout quand il s’agit de découvrir un western rare, en 35mm, choisi personnellement par le réalisateur et cinéphile lyonnais. Ainsi, Le Salaire de la violence (Gunman’s Walk, 1958) de Phil Karlson est une œuvre remarquablement en avance sur son temps. Continuer la lecture de « [Lumière 2017] Le cinéma est mort (Jour 3) »

[Lumière 2017] La Forme-ule secrète de l’eau (Jour 2)

Quand il rentre dans la grande salle de l’Institut Lumière, l’émotion est palpable. La présentation de son nouveau film était l’un des événements du Festival et il n’aura pas déçu. Lion d’Or à Venise et bien parti pour les Oscars, The Shape of Water (dites désormais « La Forme de l’eau ») est une merveille. Guillermo del Toro, ému par l’accueil qui lui a été fait, a rappelé l’importance de ce film pour lui : c’est la première fois qu’il parle vraiment de sa vie d’adulte, qu’il ne s’implique plus juste comme l’enfant qu’il a été et qu’il est – d’une certaine manière – toujours.

Si vous voulez découvrir La Forme de l’eau sans rien n’en savoir, sautez trois paragraphes !

Car en effet, La Forme de l’eau est bel et bien un film de monstre du maestro mexicain. Ici, comme toujours chez lui, la créature fascine, elle interroge, autant le personnage principal qui lui est confronté que le spectateur qui la regarde à travers un prisme social. Un monstre dit beaucoup sur nous même. Elisa Esposito (Sally Hawkins) est une femme de ménage, mutique, qui découvre sur son lieu de travail une espèce d’amphibien géant, qu’est chargé de dresser Richard Strickland (Michael Shannon). On pourrait lister les sujets abordé par Del Toro à partir de cette histoire, qu’on pourrait résumer très (trop) simplement : est-ce que le monstre ce n’est pas l’Homme ? Il faut se raconter des histoires (Del Toro qualifie ce film de « conte de fée »), pour à la fois surmonter les moments difficiles (comprendre actuellement, d’après ses dires), mais aussi apprendre à nouveau à rêver. Le personnage de Hawkins vit au-dessus un immense cinéma, presque toujours quasi-vide quand il nous est montré, le propriétaire s’avère d’ailleurs incapable de « rembourser les 4 spectateurs ».

Rêver, c’est aussi ce à quoi nous invite le réalisateur en constituant un univers totalement fantasmé : ça ressemble à l’idée qu’on a de l’Amérique de 1962, mais trop pour être vrai. On connaît l’importance du cadre chez lui, et ici, c’est un travail de reconstitution remarquable. Il va jusqu’à soigner les plus petits détail : on pensera au décor des appartements de Elisa et de son voisin (Michael Stuhlbarg), qui dégagent d’une chaleur incroyable. Rien ne semble être carton pâte collé contre un tuyau en PVC.

Il ne s’agit toutefois pas de fuir la réalité comme le feraient certains personnages du film (zapper pour éviter les informations à la télévision), mais de s’y confronter : le serveur raciste du dinner (refusant l’accès à un couple noir, en leur jetant un regard plein de haine), le machisme et la violence de Strickland (à la fois contre la créature, mais aussi contre les personnages qui l’entourent)… Le monstre est ici aussi humain que les autres personnages, on admire l’inventivité, la beauté de la photographie, la justesse de la musique de Desplat. La créature est belle, indéniablement, et la relation entretenue avec Elisa est absolument bouleversante. C’est autant un film sociétal qu’un film abordant frontalement des thématiques neuves dans le cinéma de Del Toro : la sensualité, la découverte du corps, la sexualité. C’est en effet parce que ni l’un ni l’autre ne peuvent communiquer de même voix que cela passe par le corps. Et comme ce corps n’a plus de sens en lui-même (Strickland couchant avec sa femme comme si c’était un objet muet, ayant deux doigts noicis et « puant »). The Shape of Water est une grande réussite et s’il est trop tôt pour dire s’il s’agit du plus beau film de Del Toro, on espère qu’il laissera sa marque.

Mais La Forme de l’eau c’est vraiment bien, et ça sort en février 2018.

Après l’inauguration de la plaque de Guillermo Del Toro sur le Mur des cinéastes, nous nous rendons au cinéma Lumière Terreaux pour découvrir l’une des œuvres les plus rares du festival : La Formula Secreta de Ruben Gamez. Comme film rare, invité de marque : Alfonzo Cuaron nous a fait l’honneur de parler un petit peu de ce court-métrage expérimental, ni surréaliste (et pourtant, si vous saviez), ni totalement politique (il aurait dû s’appeler « Coca-cola dans le sang » car il commence sur un plan où un homme subit une perfusion de soda américain). Bref, un machin de cinéma unique. C’était un honneur de le voir sur grand écran, dans une version restaurée. Mais le film n’a pas plus de sens pour autant. Voir un homme qui pêche des employés-costume cravate avec une corde de saucisses, voir un enfant qui porte successivement une vache qu’il vient de dépecer face caméra, puis sa mère, puis son père… C’est juste assez triste que le délire autour de la perfusion ne dure pas plus d’un plan. Si le geste de Cuaron, celui de promouvoir un tel film, est beau, c’est surtout qu’il s’agit de sauver, sauvegarder, accompagner un petit morceau de son histoire personnelle : il a eu l’occasion de rencontrer Ruben Gamez, d’échanger avec lui. La Formula Secreta, c’est l’héritage que l’hérité offre au plus grand nombre… en fait, il l’offre à celui qui voudra bien prendre le temps de le voir.

Enfin, dernière séance de la journée, Johnnie To ! Film tiré de la carte blanche de Wong Kar-wai, P.T.U. date de 2003. Thriller nocturne, il s’agit pour une troupe de policier de retrouver l’arme d’un collègue de la brigade anti-gang ayant été perdu lors d’une interpellation. Son rythme, à la fois souligné par sa lenteur et son apparent calme avant la tempête, est rythmé par des chansons de C-pop qui contrastent avec ce qu’on aurait l’habitude de voir. Mais du coup, cela conduit à une véritable stylistique propre à To : la nuit hongkongaise est lumineuse, les néons, les devantures de bâtiment, les lampadaires… Une ambiance fascinante qui se déchaîne sans pour autant totalement disparaître lors de quelques scènes d’action. Ces dernières, rares, sont d’ailleurs tout autant hypnotique que le reste. Il n’est pas surprenant que Wong Kar-Wai aime le film : il fait écho avec les siens. On pensera ainsi à Chungking Express, ou aux Anges Déchus, proposant aussi des portraits nocturnes d’une ville en perpétuel mouvement, condamné à l’accélération. Une véritable merveille, qui constitue sans doute d’une très bonne porte d’accès vers l’œuvre dense de ce grand cinéaste, qui s’est aussi essayé à la comédie romantique (le pas très bon Yesterday Once More, avec Andy Lau), mais est surtout connu pour ses polars : le diptyque Élection, le brillant Breaking News, Exilé, Running Out of Time,…!).

[Lumière 2017] Hola, Guillermo ! (Jour 1)

Une année qui promet énormément, à l’évidence. Cette fois, c’est Wong Kar-wai qui recevra le prix Lumière, après les illustres Tarantino, Almodovar, Scorsese et enfin Deneuve l’année dernière. On en attend beaucoup, d’autant plus que les autres invités de cette 9e édition sont tout autant remarquables : Del Toro, Mann, Friedkin, Kurys… !

Cette première journée était intégralement consacrée pour nous à l’immense Guillermo del Toro. Il était d’autant plus admirable qu’il vienne présenter La tête contre les murs de Georges Franju, le premier film de celui-ci, quand quelques heures plus tard il reviendra présenter certains de ses films dans le cadre de la nuit qui lui est dédiée.

La Tête contre les murs, donc, date de 1959. Film imparfait sans doute, il s’agit malgré tout d’une première œuvre remarquable dans le paysage français de l’époque. Une ébauche d’un Les Yeux sans visages, qu’il réalisera l’année suivante. Certaines scènes du film évoquent ainsi très clairement l’univers fantastique qui sera la marque de fabrique du réalisateur : un travail sonore et musical remarquable, renforçant par des jeux d’opposition des scènes suscitant un certain malaise. Au-delà, certains jeux de symboliques sont déjà présents dans ce film : les colombes, ici en cage, le médecin ayant une sorte d’influence quasi-religieuse sur son environnement… Mémorable en tout cas sont les prestations d’Aznavour (invité surprise du festival) et de Paul Meurisse !

Ce n’est d’ailleurs pas si surprenant que Del Toro ait choisi ce film dans sa carte blanche. On constate un véritable lien thématique entre ses films et celui-ci. Cette réflexion autour de la désobéissance vis-à-vis de l’autorité s’avère ainsi récurrente. Dans Le Labyrinthe de Pan (2006), ainsi, c’est autant la jeune fille qui désobéit au père adoptif que les rebelles qui désobéissent aux soldats de Franco et à son régime. Dans Hellboy (2004), il est obligé de désobéir à l’autorité (le FBI), s’échapper, pour pouvoir essayer de lui aussi mener une vie normale. Il existe aussi le motif de l’opposition à une autorité fondatrice : celle des parents. Hellboy comme la jeune Ofélie sont en affrontement permanent avec leurs parents, comme le personnage principal du film de Franju. Puisqu’on vous dit que tout est lié !