Restaurer des films à Lyon : rencontre avec Lumières Numériques

Quel est le point commun entre Djam de Tony Gatlif, La Glace et le Ciel de Luc Jacquet, et Makala de Emmanuel Gras ? Tous ont été post-produit, ou du moins en partie, à Lyon, par Lumières Numériques ! Mais particularité de ce laboratoire, ils font aussi de la… restauration de films ! Seuls en province à le faire, et ayant travaillé sur les films de Costa Gavras et de Eric Rohmer, nous avons pu en rencontrer le directeur et fondateur, Pierre-Loïc Précausta.

Bonjour monsieur Pierre-Loïc Précausta ! Est-ce que vous pourriez vous présenter et raconter comment est-ce que vous en êtes venu à diriger Lumières Numériques ?

J’ai fait un BTS audiovisuel à Villefontaine. J’ai commencé dans le film institutionnel, puis j’ai eu l’opportunité de réaliser quelques petits documentaires pour des chaînes régionales et pour des chaînes nationales. En 2006, la post-production de Kaamelott venait à Lyon, et ils cherchaient sur place un étalonneur. Je me suis proposé et ait été retenu. J’ai étalonné les livres IV et V. J’ai participé à la création d’une boite de post-production à Lyon, qui n’a pas fonctionnée… En 2011, j’ai créé Lumières Numériques, une boite de post-production, mais aussi de patrimoine et de numérisation de la pellicule, de leur restauration. Continuer la lecture de « Restaurer des films à Lyon : rencontre avec Lumières Numériques »

Rencontre avec Bout-à-Bout : « Ce sont des projets qui nous tiennent à cœur »

Alors que dans quelques jours leur campagne de financement s’achève, nous avons rencontré le collectif d’étudiants à La Factory, Bout-à-Bout, qui cherchent à réunir la somme de 30 000€ pour réaliser leurs projets de fin d’études…

Bonjour ! Est-ce que vous pourriez vous présenter, ainsi que nous parler de vos projets de courts-métrages ? 

Evance : Je m’appelle Evance Breteuil, j’ai suivi le cursus réalisation qui se fait en trois ans. En deuxième année j’ai eu l’occasion de réaliser deux courts-métrages : un de cinq minutes et un de dix minutes. C’est mon troisième court-métrage. C’est un western qu’on va tourner dans la Haute-Savoie, dans les montagnes. On suit l’histoire d’un trappeur, Charles Connelly, qui se fait voler ses peaux et qui part en chasse pour retrouver le voleur… Je n’en dirai pas plus ! C’est un court-métrage de quinze minutes, ayant pour vocation d’être un film de fin d’études mais aussi à être montré dans des festivals. Continuer la lecture de « Rencontre avec Bout-à-Bout : « Ce sont des projets qui nous tiennent à cœur » »

ACID (2/2) : « Le but, c’est de favoriser la diffusion de ces films en salle »

Suite de notre entretien avec Karin Ramette et Simon Lehingue, qui représentaient lors de leur passage à Lyon en septembre dernier l’équipe de l’Association pour le Cinéma Indépendant et sa Diffusion (ACID). Pour lire la première partie :

ACID (1/2) : « Le plus important, c’est que les films doivent être présentés comme dans un écrin au spectateur »

Vous disiez que votre public cannois était fondamentalement composé par les distributeurs, les exploitants, à la recherche de films à programmer. Dans ce cas-là, pourquoi organiser des événements pour le public cinéphile comme au Comoedia ?

K.R. : Ce n’est pas pareil. Quand on est au Festival de Cannes, on est sur les premières projections de ces films-là. Comme le disait Simon, le but, c’est de favoriser la diffusion de ces films en salle. La première stratégie est alors de faire en sorte que les programmateurs, les exploitants, puissent les voir, et les voir dans de bonnes conditions. Cannes est un enjeu important à cet endroit-là, car dans nos spectateurs, on aura l’exploitant de salle de cinéma. Après, le but, c’est qu’il soit programmé. L’exploitant a vu le film, il s’en empare, il le programme. L’idée de venir ici, au Comoedia, c’est la continuation de ce travail là : d’aller à la rencontre du public et d’activer le bouche à oreille. On présente dix films, et sur ces dix films, huit sont en avant première. Le fait de projeter ces films en avant-première avec ces discutions, ces échanges à la fin, c’est une manière de démarrer un bouche à oreille, à Lyon et dans les environs. On espère que ce bouche à oreille sera réactivé lors de la sortie nationale. Là, on est à la deuxième étape, mais il est important aussi qu’à Cannes les exploitants puissent voir les films, très en amont.

Aujourd’hui, on constate une multiplication des moyens de voir les films. De la même manière, il y a de plus en plus de films produits, réalisés, et cela devient de plus en plus difficile d’exister, d’être programmé, même à Cannes. Pourquoi ne pas vous tourner vers ces nouveaux moyens – citons Netflix – pour donner un moyen de médiatiser, de faire exister ces films qui parfois des difficultés à exister en salle ?

S.L. : C’est une bonne question…Mais l’endroit de l’ACID, c’est la salle.

K.R. : Oui, et je peux ajouter quelque chose : la plateforme, ça ne fonctionne – et ce n’est pas moi qui le dit mais ce sont les gens qui font fonctionner ces plateformes – que quand il y a déjà eu un bouche à oreille, quelque chose qui se passe avec la salle.

S.L. : Tout à fait.

K.R. : Si vous voulez qu’un film génère du téléchargement, des visionnages, il faut qu’il y ait eu quelque chose avant, une médiatisation. Ça passe par la salle.

S.L. : Pas mal de gens ont tenté des sorties directement en VOD, et c’était ultra bancal. Netflix c’est autre chose, c’est de la SVOD [Service de vidéo à la demande, ndlr] par abonnement. Il y en a d’autres comme Mubi, qui fonctionnent sur un réseau cinéphile (avec un film par jour qui rentre, un film par jour qui sort et toujours trente films en ligne), à 4€ par mois, ça marche, mais sur un réseau cinéphile, ils n’ont pas un pouvoir d’expansion énorme. Les sorties directement en VOD, en paiement à l’acte, ça a marché pour les films faisant un buzz, faisant beaucoup de promotion, type Abel Ferrara avec Welcome to New York, sur l’affaire DSK, qui a fait 700 000 achats. Mais c’est ponctuel. Il n’est pas trouvé en fait, le modèle économique. Bien sûr que les pratiques ont changé, mais comment faire exister des films si l’on ne passe pas d’abord par des structures solides, les salles, et la communication par la presse.

K.R. : On parle en l’occurrence de cinéastes qui n’ont pas encore de notoriété. Pourquoi est-ce que quelqu’un chercherait à voir ce film sur le net, ou sur une plateforme ? Alors quand c’est par abonnement, je peux faire confiance à la ligne éditoriale, être curieux – c’est une démarche très cinéphile d’ailleurs.

S.L. : J’ai un exemple : j’ai vu un film d’horreur iranien à La-Roche-Sur-Lyon [Under the Shadow, de Babak Anvari, nldr], l’année dernière. Je m’étais demandé qui allait l’acheter. C’était incroyable, il fallait que ça soit vu. Et c’est Netflix qui l’a acheté. Du coup, personne ne l’a vu, personne ne connaît ce film. Sauf qu’en fait, ils ont mis beaucoup d’argent sur la table. Le producteur était coincé : oui, le film serait peu connu, ce sera difficile de financer le prochain, mais… Netflix qui pose une somme, ça fait plaisir, mais il y a toujours le regret que l’écrin de la salle n’ait pas été là.

Là, c’était peut-être un moyen pour Netflix de parler aux spectateurs cinéphiles, qui auront ouïe dire du bien de ce film ?

S.L. : C’est aussi parce qu’ils ont besoin d’avoir un gros catalogue ! Ils ont besoin d’énormément d’offre pour justifier les abonnements, faire de la com.

En quelques mots, qu’est ce que vous diriez sur la sélection 2017 de l’ACID ? Un film qui vous a marqué particulièrement ? Mettre en avant un faux-fil directeur ?

S.L. : Je pense que ce sont des formes très libres. c’est bateau dit comme ça, mais il y a six films français (c’est un critère de l’ACID). Tout le système des commissions du CNC, du lissage des scénarios, des ré-écritures, des financements très serrés et justifiés, étouffent un peu la création. Ça se voit d’ailleurs, il y a des gens qui font des premiers films, on dirait que c’est leur huitième ! Le propre des films français de l’ACID cette année, c’est qu’ils ont tous trouvé une forme contournant ce système pour tourner plus vite, avec plus de liberté. Il y a cet aspect d’hybridation entre documentaire et fiction très claire, parce que quand on a moins d’argent, on doit travailler avec le réel, d’y introduire de la fiction… Avec des scénarios peu écrit, d’autres formes d’écritures. Les films sont assez différents les uns des autres, mais s’il y a une ligne directrice, ce serait celle-là. Le réel fait toujours effraction dans la fiction et inversement. Ça donne des formes inhabituelles pour le spectateur, mais pas difficiles pour autant. Ce ne sont pas des films exigeants plastiquement.

K.R. : Après il y a quelque chose qu’on dit beaucoup, c’est qu’il y a une forme d’éclectisme. C’est le reflet de la sensibilité des réalisateurs qui ont fait la programmation. On a des gens qui viennent de la fiction, du documentaire, d’une forme hybride… Certains en sont à leur cinquième long-métrage, d’autres viennent de finir leur premier long. Les parcours sont extrêmement divers et les sensibilités sont très diverses. C’est vraiment comment accorder toutes ces sensibilités pour une programmation, dans laquelle chacun y trouve aussi quelque chose. C’est toute la beauté de la chose. Malgré toutes ces personnalités, toutes ces sensibilités de cinéma différentes, on arrive chaque année à produire une programmation cohérente. Ce qui est très drôle, c’est qu’au fil des années, on se rend compte qu’il y a malgré nous un fil directeur. Une année, il y avait un intérêt pour la marge, dans tous les films il y avait quelque chose ou quelqu’un à la marge.

Parce que l’ACID est un peu le reflet du monde ?

K.R. : D’une certaine façon ? C’est un regard sur le monde en tout cas, à un instant T.

Un film à voir impérativement dans la sélection, par préférence personnelle ?

K.R. : C’est difficile, ils méritent tous d’être vu. Ils ont tous un intérêt différent.

S.L. : Moi je réponds Sans Adieu. C’est un chef d’œuvre. En fait, le plus beau film de l’année.

K.R. : J’aime beaucoup Sans Adieu aussi.

Encore merci à l’équipe de l’ACID de nous avoir consacré du temps et aux équipes du Comoedia pour nous avoir accueilli ! Encore en salle : Le rire de madame Lin, soutenu par l’ACID en 2017.

Site de l’ACID, pour suivre leur actualité

ACID (1/2) : « Le plus important, c’est que les films doivent être présentés comme dans un écrin au spectateur »

Nous avions pu, lors de leur passage au Comoedia, à Lyon, le 30 septembre dernier, rencontrer l’équipe de Association pour le Cinéma Indépendant et sa Diffusion (ACID). Nous leur avons posé quelques questions pour mieux comprendre leur travail et la vision du cinéma qu’ils défendent tout au long de l’année… et à Cannes !

Bonjour à vous ! Est-ce que vous pourriez d’abord vous présenter ?

Karin Ramette : Bonjour, je m’appelle Karin Ramette, je suis en charge des actions vers le public. C’est une mission assez assez large : c’est à la fois envers les adhérents et spectateurs ACID, qui sont tenus au courant de tous les films qu’on soutient, qui peuvent être programmateur des films dans leurs salles ou qui peuvent en être des relais locaux. C’est l’animation de tout un réseau local. Je m’occupe aussi des actions en direction des jeunes publics : quelques actions avec des collégiens, mais principalement avec des lycéens et des étudiants. Même les étudiants cinéphiles n’ont parfois pas connaissance de ce cinéma indépendant qu’ont défend parce que les films sont peu diffusés. Je m’occupe aussi d’une partie de la communication et des dépliants qui accompagnent les films, J’essaie alors de réfléchir à comment interpeller le spectateur sur les thèmes qu’aborde le film. Continuer la lecture de « ACID (1/2) : « Le plus important, c’est que les films doivent être présentés comme dans un écrin au spectateur » »

Rencontre avec le LYF d’Or 2017 : Marion Filloque (Les Âmes Sœurs) !

Quelques heures avant la révélation du palmarès de la seconde édition du Festival du Film Jeune de Lyon, nous avons pu échanger avec Marion Filloque, lauréate du prix de la meilleure réalisation ainsi que du très convoité LYF d’Or ! Elle était accompagnée à cette occasion du directeur de la photographie du film, Nicolas Fluchot…

Bonjour Marion ! Est-ce que tu peux nous parler de ton parcours ? Continuer la lecture de « Rencontre avec le LYF d’Or 2017 : Marion Filloque (Les Âmes Sœurs) ! »

Rencontre avec Léonor Serraille (Jeune Femme, Caméra d’or 2017)

Léonor Serraille a reçu la Caméra d’or, récompensant le meilleur premier film toute sélection confondue, lors du dernier Festival de Cannes. Nous avons pu la rencontrer lors de sa venue à Lyon pour la promotion de Jeune Femme… Continuer la lecture de « Rencontre avec Léonor Serraille (Jeune Femme, Caméra d’or 2017) »

[Annecy 2017] Interview de Romain Brosolo (Eurozoom)

Eurozoom est un distributeur indépendant connu notamment pour avoir révélé au public français les œuvres de Makoto Shinkai (Your Name,…), Mamoru Hosoda (La traversée du temps, Summer Wars, Les Enfants Loups,…) ou encore Keiichi Hara (Colorful, Miss Hokusai,…). S’ils ne se consacrent pas uniquement à l’animation japonaise, ils n’en restent pas moins des acteurs remarquables sur la scène actuelle. Alors qu’Eurozoom sortira le 30 août prochain Lou et l’île aux sirènes de Masaaki Yuasa qui a reçu, quelques jours après la réalisation de cette interview, le Cristal du long métrage au festival d’Annecy, nous avons pu discuter avec Romain Brosolo de la société pour laquelle il travaille…

Bonjour Romain ! D’abord, est-ce que vous pourriez vous présenter ?

Je m’appelle Romain Brosolo, j’ai 28 ans. Ça fait 5 ans que je travaille à Eurozoom. J’y suis arrivé un peu par hasard. Je m’occupe des acquisitions, avec ma collègue Alba, et d’une partie de la programmation France. C’est les deux pans principaux de mon métier, mais je m’occupe aussi des éditions DVD et VoD, de tout ce qui concerne les impressions et l’affichage promotionnel, type les colonnes Morris ou le métro. C’est ce que je fais en règle générale quand je ne délègue pas.

Eurozoom est un distributeur indépendant. On sait la fragilité d’une telle structure dans le milieu du cinéma, alors que nous avons battu l’année dernière un record en termes d’entrées dans les salles françaises. Est-ce qu’Eurozoom a bénéficié de cette tendance d’une manière ou d’une autre ?

C’est un peu une fausse augmentation dans le sens où ce sont toujours les mêmes types de films et les mêmes distributeurs en général qui font que le marché augmente : les gros blockbusters, mais aussi les films d’art et essai porteurs, de gros films réalisés par des gens comme Almodovar et qui sont achetés très très cher. C’est presque des « blockbusters indépendants » ! Pour nous, le cinéma indépendant – réellement indépendant – c’est compliqué. 70% des films qui sortent en France sont catégorisés Art et Essai… Par exemple, Django Unchained de Tarantino, distribué par Sony Pictures, sorti sur 800 copies est catégorisé Art et Essai. Ou encore, The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson, qui a obtenu la catégorisation Art et Essai et le label Recherche et découverte… Ce sont des films qu’on adore, mais on les met sur la même ligne que des films très très pointus que nous ou d’autres distributeurs indépendants pouvons sortir. C’est un peu deux poids, deux mesures. L’augmentation du nombre d’entrées en France se vérifie plus sur les films de Dany Boon par exemple. Sur la grande majorité, c’est un peu mensonger.

Donc proportionnellement au nombre de copies des films que vous distribuez, vous n’avez pas connu d’augmentation du nombre d’entrée ?

Non. Mais après on a eu de la chance : cette année on a eu Your Name, qui, on ne va pas se mentir, a mis du beurre dans les épinards. On a aussi un beau line-up qui s’annonce jusqu’à la fin de l’année, donc on est assez content.

Eurozoom est aussi un cas à part dans le milieu de la distribution, parce que c’est un distributeur indépendant, et beaucoup d’indépendants sont aussi producteurs des films qu’ils distribuent (ex : BAC Films, Memento Films…). Comment se déroulent les relations avec les équipes de production et l’acquisition des films ?

Soit on passe directement par le producteur, soit on passe par le vendeur international. Les marchés du film servent à ça justement : à Cannes, Annecy, Toronto, Berlin, Tokyo… Il y en a pleins, dans toutes les villes du monde pratiquement. Certains sont très mineurs, certains commencent à surplomber d’autres : je pense notamment à Toronto par rapport à Venise au même moment, ou encore Busan en Corée du Sud qui commence à grossir aussi. Nous, nous sommes plutôt en lien avec les producteurs ou avec les vendeurs internationaux. Après, c’est comme dans tout marché international : on regarde ce qui est proposé, si quelque chose nous intéresse, on va rencontrer ceux qui le vendent, on discute d’une offre, savoir si les droits sont disponibles pour la France. C’est un jeu de négociation en fait. On fait un premier tri, on fait un travail de recherche sur les films en amont déjà des festivals. On n’arrive pas dans les festivals en se disant « bon, qu’est-ce qu’on va aller voir ? ». On connaît nos vendeurs, on leur demande en amont ce qu’ils ont, on essaie de voir un maximum de films… Je peux prendre l’exemple du Kiyoshi Kurosawa, Avant que nous disparaissions, sélectionné à Cannes au Certain Regard : on a acquis les droits avant que le film ne soit annoncé en sélection… on l’a acquis deux jours avant l’annonce, donc on savait, mais sans être sûr de savoir où précisément. C’est important pour un distributeur indépendant d’avoir un film à Cannes, ça fait bien.

Your Name a été un énorme succès, on peut même dire qu’il y aura un avant et un après pour vous. Est-ce que cela va vous permettre d’avoir plus de poids dans l’avenir, comme dans vos négociations pour acquérir de nouveaux films ?

Oui et non, parce qu’on avait déjà eu de très gros succès dans le passé ! Eurozoom existe depuis 20 ans. On a eu Les Enfants Loups en 2012, qui a fait 250 000 entrées. Alors, ça remonte un peu. Nous restons un distributeur moyen même si cette année on est dans le top 25 des meilleurs distributeurs français. C’est assez gratifiant pour notre travail. Dans le cas de Your Name, pour tout ce qui concerne l’animation japonaise, je pense qu’on est reconnu comme LE distributeur de l’animation japonaise en France. Ça a été un travail en amont de ma patronne [Amel Lacombe, ndlr] depuis 20 ans.

Avant, les japonais ne voulaient pas vendre leurs films à l’étranger ?

Si, mais l’exploitation française te rit au nez. Pareil pour Your Name : il y a eu des prévisionnements en province où les exploitants de salle rigolaient, et sortaient de la salle en se disant que ça ne marcherait jamais. On a eu du mal à sortir le film sur 100 copies : il faut quand même le préciser. On peut aussi prendre Les Enfants Loups : Hosoda était inconnu en France. On a sorti La Traversée du Temps en 2007, on a fait 50 000 entrées. Summer Wars en 2009, on a fait environ 60 000 entrées. Ce sont des petits succès, mais ce n’était pas incroyable. Puis Les Enfants Loups, qu’on a eu du mal à sortir sur 48 copies ! On a fait 250 000 entrées, sachant qu’en 5e semaine, on était à 180 copies. Et il y a eu derrière le festival Télérama, le programme Écoles et Cinéma, un dispositif du CNC qui apporte énormément de scolaires sur les résultats.

Eurozoom est d’ailleurs un distributeur qui fait vivre ses films sur une durée importante.

Oui, d’ailleurs tous les distributeurs qui ont un catalogue important essaient de faire vivre leurs films le plus longtemps possible. Les gens voient le film au cinéma pendant un certain laps de temps parce qu’on est l’un des pays où l’on sort le plus de films en salle chaque semaine, entre 15 et 20, là où aux États-Unis sortent en moyenne 8 films, alors que nous avons une population beaucoup moins importante. On est obligé alors de faire vivre le film « parallèlement », avec des festivals, des scolaires, des reprises, des ciné-goûtés… On a eu pas mal de beaux succès à notre échelle. Je pense à Miss Hokusai, qui a obtenu le prix du Jury en 2015 à Annecy. On avait distribué le précédent film de Keiichi Hara, Colorful, aussi primé à Annecy et qui n’avait pas marché. Miss Hokusai a fait 100 000 entrées en France, sur un film qui ne s’adresse pas à un public très jeune. Ça veut dire que c’est une réussite : des seniors sont allés voir le film. Ça montre une ouverture d’esprit de la part du public français ! Dans la tête de l’exploitant français, souvent, animation signifie film pour enfant. C’est pour ça que le cinéma d’animation pour adulte a beaucoup de mal à exister en France, et les succès se comptent sur les doigts d’une main. Nous, on en a fait 3 récemment et ça a été compliqué.

On sait la fragilité des distributeurs indépendants, mais est-ce qu’on peut vous imaginer à l’abri quelques semaines avec le succès de Your Name ?

Quelques semaines, voire quelques mois, années… On ne va pas se mentir, on réinvestit tout l’argent dans le line-up. Sortir un film, c’est pas seulement l’acheter, c’est développer toute une stratégie de com derrière. Sur quel public on se positionne, quel partenaire sera contacté pour parler du film, les frais d’édition… Ça va du disque dur, du DCP nécessaire au visionnement du film, à l’affichage dans le métro, dans les rues… Si on achète un film, disons 50 000€, on peut mettre jusqu’à 150 ou 200 000€ dans les frais d’édition. Il faut aussi que les gens se rendent compte de ça : même un distributeur indépendant engage des sommes très importantes. Sur chaque sortie. Je laisse imaginer Disney.

Il peut suffire d’un échec ou deux pour vous mettre en danger dans ces conditions ?

Ça peut aller vite, oui. Après, Eurozoom a connu deux années difficiles : 2013-2014. On a enchaîné deux-trois-quatre échecs. On sort entre 8 et 10 films par an, si parmi eux, il n’y en a pas 2 qui marchent, ça peut vite mettre en difficulté. Il y a d’autres ressorts pour s’en sortir et ma patronne a très bien réussi à faire ça. C’est une battante, depuis 20 ans que sa boite existe, elle a fait en sorte que ça continue. Your Name est venu couronner l’acharnement qu’elle a eu sur l’animation japonaise notamment. C’est un film qu’on a acheté avant qu’il ne sorte au Japon – et heureusement parce que sinon… ! Autre exemple, Mamoru Hosoda, inconnu en France. Les Enfants Loups marchent, et le suivant, c’est Gaumont qui l’a sorti.

Vous avez sorti Psiconautas, qui est un film d’animation clairement pour adultes, et sorti pendant le festival de Cannes à une période où l’on penserait les cinéphiles assez occupés… Pourquoi avoir fait ce choix ?

C’est plutôt bien de sortir pendant Cannes, en fait. C’est une bonne période, justement : on en sort tous les ans à ce moment, deux cette année. Par exemple, Sword Art Online : Ordinal Scale, adapté d’une grosse franchise. On aime sortir ce genre de film à ce moment-là justement parce qu’il y a un boulevard. C’est une période creuse pour les salles. C’est facile de programmer des films, alors.

En plus, dans le cas de Sword Art Online, ce n’est clairement pas le même public que celui occupé par le Festival de Cannes.

Pas du tout, en effet. C’est un public très ciblé, des « fanbases » importantes tout de même. C’est des consommables, qui ont des durées de vie très limitées, et qui ne sont pas des chefs d’œuvre comme Your Name ou Les Enfants Loups. Et on sait qu’en un mois, en prenant le cas de Sword Art Online, sur 80 copies, on a fait 80 000 entrées. On fait entre 60 et 100 000 entrées sur ce genre de films, et c’est exactement ce qu’on recherche.

Comme ce sont de grosses licences, il n’y a pas de problème à obtenir les droits ? Ou personne n’en veut ?

Non, ce n’est pas que personne n’en veut. C’est que ce sont des films particuliers à travailler. Les gens savent qu’on sait bien le faire, donc on fait appel à nous.

Autre cas, qui n’a rien à voir, la sortie prochaine du film de Sally Potter, The Party, présenté en compétition à Berlin. Il a été annoncé pour une sortie en plein été, à une époque où les cinéphiles sont en vacances.

On l’a changé de date au final, il sortira le 13 septembre ! Mais oui, c’est vrai, je vais prendre l’exemple d’un film que nous avions sorti pendant l’été 2015 : Aferim!, de Radu Jude. Il avait reçu l’Ours d’Argent du meilleur réalisateur : un film en noir et blanc, roumain, qui se passe au 19e siècle… ! Un film hilarant, que j’adore. On l’a sorti le 5 août : on peut se dire « ouah, un film comme ça, un 5 août ? ». Sauf que très facile à programmer. Il y avait des arguments pour le film. Primé à Berlin, c’est un bon film on va pas se mentir, qui traite d’un sujet d’actualité, le racisme, et comment on peut transposer des poncifs du 19e au 21e. Il s’est bien programmé et a marché. Il a fait ce qu’on lui a demandé de faire. On l’aurait sorti en octobre, on aurait fait moins de 10 000 entrées. On a fait plus de 30 000. Sally Potter, au final, c’est différent. On avait déjà sorti son précédent film, Ginger et Rosa (2013), et pour The Party, il y a du casting. Kristen Scott Thomas, Timothy Spall, Cillian Murphy, pour un film qui ne fait qu’une heure dix, en noir et blanc, huis clos, génial, comédie dramatique à l’anglaise sur fond de Brexit. C’est l’histoire de Kristen Scott Thomas qui travaillait d’arrache-pied pendant trois ans pour que son parti accède au pouvoir, et vient d’être nommée ministre de la santé. Elle organise une soirée chez elle pour fêter ça et tout part en sucette. On l’a vu à Berlin dans une salle de 500 personnes qui riaient à gorge déployée. Y’a eu que les Inrocks qui ont dit que c’était le pire nanar de Berlin depuis les 20 dernières années, ce qui nous a aidé à avoir le film. Des distributeurs un peu plus gros ont sans doute été refroidis par cette critique.

Dans le cas opposé, Your Name avait été largement soutenu par les Cahiers du Cinéma notamment avec trois pages dédiées pour de l’animation japonaise, chose rare. Ce qui aura, sans doute, poussé en plus la cinéphilie française à aller voir le film.

On a été très bien accueillis par la presse française, dans son entier. C’est un film qui, je pense, a parlé à tout le monde. La plus grande salle de cinéma en France, c’est le UGC Ciné Cité Les Halles (1er en France, 1er en Europe, 2e dans le monde, la première étant coréenne). C’est quasiment le baromètre mondial de la fréquentation salle dans le monde, et le directeur était impressionné de voir des ados venir à des séances à 10h du matin, là où il ne les voit jamais, ce sont normalement des publics plutôt âgés à cette heure-là. C’est un film qui a parlé à tout le monde, comme Les Enfants Loups d’ailleurs, où on avait eu des programmatrices de grands groupes qui étaient bouleversées après avoir vu le film.

Parmi vos sorties de cette année, on note la présence de deux films de Kiyoshi Kurosawa, un réalisateur reconnu qui a déjà sorti un film un peu particulier en début d’année : son premier en français, Le Secret de la Chambre Noire. Quel est le potentiel de ces deux films, très différents (Creepy, sorti le 14 juin, et Avant que nous disparaissions, prévu pour la fin d’année) ?

Creepy était à Berlin l’année dernière. C’était un peu un coup de chance. C’est quelqu’un de très productif, il fait un film par an depuis 20 ans. Il a un public en France, on ne va pas se mentir. Tous ses films, à part le dernier tourné en français – et encore, font 50 000 entrées minimum. Il reste un réalisateur, pas de niche, mais vraiment de cinéphile. Il n’a jamais connu d’énorme succès, à part Shokuzai, qui a vraiment cartonné. C’est un « touche à tout ». Creepy, c’est un thriller un peu noir, avec un tueur en série. C’est le genre qui l’a fait connaître. C’est particulier, mais il a un public français qui est assez fort et donc, nous, on se base dessus beaucoup quand même. Avant que nous disparaissions a eu une très bonne réception à Cannes. C’est de la science-fiction, mais on parle d’invasion extraterrestre de manière complètement informelle, invisible. Ce n’est pas Alien ou Independance Day, c’est ce qui est intéressant. C’est « kurosawaesque », c’est marrant de voir comment il traite le sujet. Bon après, aucun film ne fait l’unanimité, surtout à Cannes.

Vous avez annoncé avoir acquis Fireworks (de Akiyuki Shinbo et Nobuyuki Takeuchi), alors que le film n’est pas encore sorti au Japon. Qu’est-ce qui vous a poussé à l’acquérir ?

Toho, le vendeur et le producteur de Your Name, lorsqu’on l’avait acquis, nous avait déjà parlé de Fireworks. On s’est penché dessus très très rapidement. On a fait une offre avant de voir quoi que ce soit, pour couper l’herbe sous le pied de tout le monde en fait. C’est, je pense et sans l’avoir vu, un film qui a un potentiel équivalant à Your Name. Je n’ai vu que quelques images. On va le sortir en fin d’année 2017 ou début 2018, comme Your Name.

Comme le festival d’Annecy accueille un marché du film, on imagine que vous êtes ici pour ça. Est-ce que vous pouvez dire des choses ? Des négociations en cours ? Des sorties prévues pour 2018 ?

Non, je ne peux rien dire ! Il y en a quelques-unes en cours. Mais oui, ce serait pour 2018. Mais je ne peux rien dire du tout.

Parmi les prochaines sorties d’Eurozoom, vous pourrez découvrir Hirune Hime: Rêves éveillés le 12 juillet en salle, puis Lou et l’île aux sirènes, Cristal du Long métrage 2017, le 30 août prochain.

Merci à Romain Brosolo de nous avoir accordé du temps et aux équipes du festival d’Annecy de nous avoir accueilli.

Interview de Pierre Triollier du Brochet (président du LYF)

Président et l’un des membres fondateurs du LYF – Festival du Film Jeune de Lyon, Pierre Triollier du Brochet a accepté de rencontrer Le film jeune lyonnais pour discuter autour de la première édition et de l’organisation de la deuxième en septembre 2017…

Bonjour Pierre. Vous êtes président de l’association LYF – Festival du film Jeune, et donc président du Festival du film Jeune de Lyon. Que retenez-vous de l’édition précédente ?

Beaucoup de fierté d’avoir pu mener un projet comme celui-ci à bon port. J’en retire aussi des belles rencontres, de nouvelles amitiés que j’ai formées grâce à cette expérience, et la naissance d’une équipe jeune, soudée et dynamique. Du coup, c’est plein de bonnes choses qui nous ont convaincu d’organiser en 2017 une nouvelle édition du Festival du film Jeune de Lyon.

Le Festival du film Jeune fait écho à la base à un autre organisme : l’Union du film Jeune. Qu’est ce que c’est ?

L’Union du film Jeune, c’est le projet originel de notre association. En effet, lors de sa fondation, l’objectif était de créer une association des manifestations cinématographiques jeunes lyonnaises. Personnellement, je sortais de mon mandat comme président du Festival du film lycéen de Saint-Just, et c’est avec nos amis du Festival Luciole, du lycée la Martinière Monplaisir, que nous avons créé l’association.

L’Union du film Jeune est donc un des deux pôles de l’association LYF. Elle regroupe les organisateurs de manifestations cinématographiques jeunes lyonnaises qui sont ainsi associés dans notre grand projet de développement du film jeune lyonnais.

Qu’attendre de cette nouvelle édition ?

De nouveaux films bien sûr ! Il y aura aussi d’autres nouveautés, comme le blog Le film jeune lyonnais [vous êtes dessus, ndlr] qui a couvert le Festival de Cannes d’une manière admirable et qui propose aux différents abonnés et internautes des contenus de réflexion et une approche analytique sur le cinéma et son industrie.

Évidemment, pour faire une deuxième édition nous allons reprendre dans les grandes lignes la première : les projections des courts-métrages, sous la houlette d’Alice Mesland-Millet et Maéva Paolini, une conférence organisée par Camille Pellini, et un nouveau projet d’exposition de photographies qui est en préparation par Hanna Trabelsi et Clara Naouri, mais vous en saurez plus bientôt. Nous nous occupons aussi du jury, des relations avec nos partenaires (Comoedia, Ville de Lyon, lycées, Lyon 3, …), ainsi que d’organiser des moments de rencontres et d’échanges entre les candidats, nos partenaires et les professionnels, que nous souhaitons développer cette année. Et pour ce faire je serai épaulé par mes deux vice-présidents, Jean-Félix Laval et Constant Boulay, ainsi que le directeur général de l’association, Jean-Charles Quiniou.

Est-ce que les candidatures affluent comme l’année dernière ?

Nous avons reçu 26 candidatures à ce jour, nous avons donc rassemblé au moins autant de films que l’année dernière, sachant qu’il reste un peu plus de deux mois avant la fin du délai de dépôt, le 20 août 2017. L’originalité de cette année est que ces candidatures viennent d’à peu près toute la France : Paris, Angers, Toulouse, Marseille, et même de Cotonou au Bénin, ce qui nous donne une diversité et une ouverture nationale et internationale sans précédents ! D’ailleurs j’en appelle aux réalisateurs lyonnais, pour lesquels cette manifestation est construite à l’origine : ne vous laissez pas faire et montrez à la France et au monde que les lyonnais font du cinéma, et en nombre !

Quels conseils donneriez-vous à un candidat pour que son film soit sûr d’être sélectionné ?

La première étape c’est évidemment de se rendre sur lyonyoungfilfmest.fr pour inscrire en renseignant la « fiche candidat » et en envoyant son film. Ensuite, nous n’avons pas la prétention d’une sélection officielle cannoise bien évidemment : nous attendons des films qu’ils durent moins de 15 minutes, soient audibles et visibles en formats universels, et qu’ils soient réalisés par des jeunes de moins de 25 ans. Si nous avons de trop nombreux candidats, une sélection se fera par le biais du Comité de sélection, mais en attendant, nous sommes ouverts à tout, et à tous : tous les genres sont les bienvenus au Festival du film Jeune de Lyon. Par exemple, nous allons sûrement ouvrir des catégories film d’animation, film expérimental et film documentaire cette année, ce qui nous donne une richesse et une diversité que nous n’avions pas l’an passé ! Un conseil donc à donner aux candidats : étalonnez votre image et votre son pour nous rendre un film qui se rapprochera au mieux de la qualité d’un film professionnel ! Pour le format vidéo, privilégiez le MP4 pour permettre des conditions de visionnage optimales.

Comment se déroule concrètement le festival ?

Pour nous évidemment il a déjà commencé. On reçoit des candidatures jusqu’au 20 août, à minuit. Le 21 août, nous communiquerons sur les réseaux sociaux pour annoncer les films retenus dans la sélection ainsi que les nominés par catégorie. Début septembre, nous tiendrons notre traditionnelle conférence de presse pour détailler toute notre programmation ainsi que nos projets, événements, etc … Et enfin, le 20 septembre, les projections débuteront avec la première d’entre elles dans l’auditorium Malraux de l’Université Lyon 3, à la Manufacture des Tabacs. Suivront alors 10 jours de projections endiablées, avant de terminer avec une cérémonie de clôture, de remise des prix et de diffusion des films lauréats le samedi 30 septembre, à 10H au Cinéma Comoedia.

Comment est composé le jury ? Comment est établi le palmarès ? Sur quels critères ?

Le jury est désigné par le Bureau de l’association : il est composé d’une vingtaine de personnes environ, des lycéens, étudiants, étudiants en audiovisuel, des enseignants, mais également des professionnels du cinéma, des journalistes ou des membres d’associations étudiantes de Lyon. La composition du jury sera justement dévoilée en conférence de presse. Les jurés se réuniront pendant le festival pour délibérer et décerner des récompenses. Le Comité de sélection aura, comme je l’ai dit auparavant, établi une sélection de nominés pour les catégories techniques (image, B.O., montage, …). Le détail des prix en jeu sera dévoilé également en septembre. Bien sûr, le Public ne sera pas oublié, et même si le jury décernera beaucoup de prix, le public décernera un unique mais pas moins prestigieux Prix du public, composé des votes pendant les projections d’une part, et des votes en ligne d’autre part.

Quel avenir pour le Festival ?

Le Festival, et le projet de notre association, qui est de développer et de rassembler les initiatives cinématographiques jeunes lyonnaises, ont vocation à se pérenniser : nous sommes les seuls à faire ça et le public, les spectateurs, les candidats, nous font bien sentir, à chaque fois avec beaucoup d’émotion, comme notre projet a été déterminant pour eux, ou qu’ils ont simplement apprécié passer des moments de cinéma avec nous. Idéalement, l’ambition du Festival du film Jeune de Lyon pourrait être nationale : devenir un festival de référence dans son domaine,  c’est notre ambition. Après, si des initiatives similaires se présentent dans d’autres régions de France et de Navarre, nous serons vraiment heureux de partager, d’échanger avec ces personnes et de construire de nouvelles choses ensemble, sur notre passion commune : le cinéma !

Interview de Calin Peter Netzer (Mère et Fils, Ana mon amour,…)

A l’occasion du focus sur le cinéma européen Métamorphoses organisé par les Cinémas Lumière, nous avons pu rencontrer le cinéaste roumain Calin Peter Netzer, lauréat d’un Ours d’Or en 2013 et primé cette année encore avec son nouveau film : Ana, mon amour

Vous avez beaucoup voyagé dans votre vie. Vous êtes né en Roumanie, êtes parti en Allemagne, avant de revenir en Roumanie… Est-ce que vous vous considérez comme un roumain, un européen, ou les deux ?

Je pense que je suis européen. C’était difficile parce que j’ai quitté la Roumanie quand j’avais 7 ans, en 1983. Mon père fuyait le régime communiste. Il était docteur et il est allé à un congrès, en restant sur place. C’était en 1981. Deux ans plus tard, avec ma mère nous sommes venus en Allemagne. Il avait fallu deux ans pour avoir les papiers. Je suis revenu en Roumanie quand j’ai fini mes études en 1994, pour étudier le cinéma. En fait je dois dire que je ne me sentais pas bien en Allemagne. C’était un peu traumatisant pour moi parce que j’étais très jeune quand je suis parti de Roumanie… C’était une bonne solution parce que je ne voulais pas aller étudier à Berlin ou Munich. J’ai joué du tennis en pro jusqu’à mes 18 ans, mais je n’avais aucun futur dans ce sport, je n’étais pas fait pour ça. Et je devais étudier quelque chose. J’aimais beaucoup voir des films. Quand j’avais un peu de temps je m’enfuyais au cinéma. Mes amis m’encourageaient sur cette voie. Si je le voulais, on pouvait m’aider à retourner en Roumanie. J’y suis retourné et j’y suis resté.

Comment avez vous su que vous voudriez faire du cinéma ? Comment est-ce que c’est rentré dans votre vie ?

Comme je l’ai dit, aller faire des études de cinéma, c’était une aventure. Je ne savais pas à quoi m’attendre. Je n’étais pas quand j’avais 10 ans en train de jouer avec une caméra comme pleins de réalisateurs. Je ne me sentais pas intégrer en Allemagne. J’avais besoin de partir, d’aller voir autre chose. J’aimais le cinéma parce que c’était un autre monde. Mais je ne pensais pas que je ferais moi-même des films. Mes parents voyaient que je fuyais vers le cinéma, seul. Au début je me disais que ce serait une blague, mais avec le temps, je me suis dit « pourquoi pas ? Je pourrais essayer ! ». C’était vraiment une aventure parce que je n’étais pas préparé pour aller dans une école de cinéma, à 18 ou 19 ans. Mais tout s’est bien passé. Je devais être bon, je pouvais raconter des histoires. J’ai senti en rentrant en Roumanie que j’étais encore un immigrant. En Allemagne, j’étais un roumain, en Roumanie, j’étais un allemand. Mais les choses se sont bien passées, j’ai fait des films, j’ai eu des prix, et ainsi de suite. J’étais en cours avec Cristian Mungiu [Palme d’or en 2007 pour 4 mois, 3 semaines et 2 jours, nldr] par exemple !

Comme vous venez à Lyon dans le cadre d’un focus sur le cinéma européen contemporain, est-ce que vous considérez qu’il y ait un cinéma européen, ou seulement des cinémas « nationaux » ?

Non, je pense qu’ils s’influencent mutuellement. Il y a un cinéma européen, il y a un langage européen du cinéma. C’est comme les américains : il y a un cinéma hollywoodien, un cinéma grand public, et un cinéma indépendant, exactement comme en Europe. En France, vous faites des blockbusters, parfois. Et pour la plupart – c’est le système économique – font de l’argent dans le pays où il est fait.

Est-ce que vous pensez qu’il existerait des « thèmes » propre au cinéma européen ? L’immigration vers l’Europe, par exemple, traitée par un grand nombre de cinéastes de toute l’Europe, tel que Kaurismaki, primé à Berlin en même temps que vous cette année…

Ou Happy End, le nouveau Haneke ? [Qui traite en partie du sujet des migrants à Calais, ndlr] Bien sûr. Je pense qu’il y a des tendances. Par exemple, après la chute du communisme, il y avait peu de gens intéressé par le sujet. Mais le premier film ayant véritablement traité du sujet était ce film allemand ayant obtenu l’Oscar, La Vie des Autres (2006). Et puis il y a eu Cristian Mungiu qui a traité de ce sujet. Il y a un phénomène de mode, des cycles. Il y a des sujets qui ne fonctionnent pas aujourd’hui mais qui reviendront à la mode dans quelques années.

Vous aviez dit, à propos de Mère et fils (2013, Ours d’Or), que vous étiez un réalisateur qui aimait contrôler tous les aspects du film, et que sur ce film, pour la première fois, vous aviez intégré votre équipe au processus créatif. Comment avez vous travaillé pour Ana, mon amour ?

De la même manière. Le film est inspiré par un roman, Luminiţa, mon amour de Cezar Paul Bădescu, que j’ai lu en 2010 quand j’étais déjà en train de produire Mère et fils. Je voulais faire une histoire d’amour à propos de la dépendance. Le film est à propos du pourquoi les gens restent ensemble alors qu’il semble évident vu de l’extérieur qu’ils devraient se séparer. J’ai cherché une explication qui dépasse les personnages. C’est psychanalytique pour moi : quelles sont les causes ? C’était ce qui était important pour moi sur ce film.

En tant que réalisateur, est-ce que vous pensez qu’il faut que vous soyez très strict dans l’application de votre vue artistique du film ou que votre équipe doit influencer votre processus créatif ? Concrètement, est-ce que vous avez fait évoluer votre projet en discutant avec votre directeur de la photographie, votre monteur… ?

Oui, dans la mesure où je leur ai laissé de la liberté comme pour Mère et fils. C’était un sujet très personnel émotionnellement, mais je voulais être le plus objectif possible. C’est aussi le cas sur Ana, mon amour : comme je l’ai dit, ce n’est pas adapté mais inspiré par un roman. Je discutais avec Cezar Bădescu et je me suis rendu compte que ce couple, inspiré par la réalité, était comme une thérapie pour lui. Alors qu’on avançait sur le scénario, je me suis rendu compte qu’il était très subjectif. J’étais devenu comme son psychologue dans un sens ! Et j’ai réalisé que ce film ne pouvait être raconté que depuis sa perspective, de la manière dont lui se rappelait des choses : certaines choses étaient peut-être parfaitement vraies, d’autres influencées, modifiées.

Le film n’était pas adapté mais inspiré, comment avez vous travaillé sur le scénario ?

Avant même la première écriture, je me suis rendu compte que le film ne pouvait pas être chronologique. L’histoire se déroule sur 10 ans, on pourrait presque en faire une série. J’ai choisi d’écrire le film selon le point de vue du patient qui fait la psychanalyse. Je pouvais donc avoir les sauts dans le temps sans souci. C’est justement le processus de la psychanalyse : il faut dire tout ce qui passe par l’esprit.

Est-ce que vous avez tourné de manière chronologique, en suivant l’ordre du script ou pas du tout ? Comment les acteurs ont-il travaillé avec un tel scénario ?

Non, nous avons tourné selon les situations et les disponibilités. C’était un scénario très compliqué pour les deux acteurs principaux, qui devait être jeunes mais pouvoir jouer à la fois la vingtaine et le début de la trentaine. Ça nous a pris du temps pour trouver, au début nous avions d’autres acteurs. La première actrice féminine était partie au bout de 6 mois parce que c’était trop dur pour elle. C’était un défi parce que c’était de jeunes acteurs, qui n’étaient pas très au courant sur la psychologie. Nous avons beaucoup travaillé. On a fait pas mal de changements dans le scénario, notamment dans les dialogues, c’était difficile d’avoir quelque chose de naturel.

Votre directeur de la photographie, Andrei Butica, est le même que sur Mère et fils. Est-ce que vous lui avez donné les mêmes indications que sur votre dernier film, qui se caractérisait par un travail sur la photographie très spécifique ? Est-ce que vous avez voulu garder le même rendu, un aspect qui fait penser à un documentaire ?

Oui, Ana, mon amour est aussi tourné avec une caméra à la main, mais c’est moins brutal que dans Mère et fils. Il y a d’ailleurs beaucoup plus de gros plans. C’est notamment pour chercher du réalisme, pour être vraiment avec eux. C’est un film où l’on est vraiment dans l’intimité du couple. Et oui, c’est un peu différent, mais il y a aussi cette idée de démarche documentaire. On a tourné avec deux caméras. Il y a deux raisons. La première est que faire un film coûte très cher. Chaque jour de tournage en Roumanie dans ces conditions coûtaient 20 000 à 30 000€. Si on va tourner de manière des classiques européens, on va déplacer la lumière entre les prises… Je préfère, quitte à ce que ce ne soit pas esthétique, travailler avec les acteurs, d’avoir une certaine liberté. C’est très important pour moi. Si je faisais des films à l’époque de Fellini, je pourrais tourner la moitié de l’année sans problème. Ce serait alors autre chose. Là nous avons la pression de l’argent. La seconde, c’est que l’on tourne en numérique, on a ainsi plus de liberté avec les acteurs.

En janvier, il y a eu de grandes manifestations en Roumanie contre la corruption. Votre dernier film, Mère et fils, en parlait, de même que le dernier Mungiu (Baccalauréat, 2016) par exemple. Selon vous, est-ce que votre cinéma, ou le cinéma de manière général, à un rôle politique à jouer ?

C’est un prétexte je pense. Dans Mère et fils, c’était d’abord la classe supérieur contre la classe populaire. Je pense que ce que le film raconte a plus un aspect universel : si tout ceci arrivait en France, même si ce serait à un degré moindre, ou même aux États-Unis, ou en Allemagne, ce serait un scandale.

Au fait, le titre international du film est Ana, mon amour (en français!) : pourquoi ?

(rires) Dans le titre du roman, on fait allusion à « Luminiţa », mais c’est difficile à prononcer. C’est les producteurs qui trouvaient que Ana, mon amour est un titre plus vendeur, plus universel et qui n’a pas besoin d’être traduit en allemand, en italien… !

Le film sortira en salle le 21 juin 2017 :

Nos remerciements à Calin Peter Netzer, aux équipes des Cinémas Lumière, du Consulat de Roumanie et de Sophie Dulac Distribution. Photos : Charles Dubois.

Interview Sébastien Laudenbach (La Jeune Fille sans Mains)

Sébastien Laudenbach a reçu à Cannes cette année le prix France Culture – Cinéma de la part des étudiants pour son premier long-métrage La Jeune Fille sans Mains. Nous avons pu échanger avec lui suite à la cérémonie…

Vous venez de vivre une année exceptionnelle : depuis votre passage à l’ACID avec votre premier long-métrage La Jeune Fille sans mains, vous avez remporté un prix à Annecy, été nommé aux Césars… Que retirez-vous de l’année écoulée ?

Un tourbillon. L’impression que les choses allaient plus vite que moi. Le film s’est fait patiemment , petit à petit, avec un temps très étiré. Quand on ne fait que quelques secondes par jour, on est dans un rapport au temps qui est singulier et là, ce rapport au temps a été bouleversé. Dès la projection à Cannes, tout est allé très vite. Je commence à en sortir un peu, je suis encore un peu enivré.

Est-ce que ce n’est pas un peu difficile de penser votre second projet après tout ce qui vient de se passer ? Est-ce que vous allez continuer le long-métrage ?

Je ne sais pas. Là, je viens de terminer un court-métrage qui va être diffusé sur Troisième scène, le site de l’Opéra de Paris [disponible en dessous, ndlr]. Moi j’ai envie de continuer à faire des films. Après est-ce que ce sera des films courts ou des films longs, je n’en sais rien. C’est vrai que faire un deuxième film après celui-ci… C’est pas simple, parce que je ne veux pas faire deux fois la même chose. Je voudrais faire un projet qui me tient à cœur. Je ne sais pas encore, je suis en pleine réflexion.

Comment avez vous vécu ce processus, de passer après plus de 15 ans de court-métrages au long-métrage ?

C’est une histoire un peu longue : c’est un long-métrage qui m’a été proposé en 2001. On m’avait proposé d’adapter une pièce d’Olivier Py et on a travaillé pendant 7 ans au développement du film, qui a été abandonné. Je l’ai repris à partir du conte d’origine, tout seul, en 2013, avec des gens qui sont venus me soutenir. L’histoire qu’on m’avait proposé, ce conte, me tenait à cœur. A chaque fois que j’y pensais, je me disais « il faut en faire quelque chose ».

Et quand vous dites que vous l’avez fait seul…

J’ai fait l’animation seul. Et le trait est singulier. Le résultat est que le film a été fait avec un processus totalement expérimental : il n’y avait pas de scénario. Je n’avais pas les droits de la pièce, alors j’ai suivi le conte, mais il y a plein de différences entre le conte et le film puisque j’ai improvisé le film du premier plan jusqu’au dernier, en dessinant directement, sans passer par l’écrit, en voyant ce qui se passait sous mon pinceau.

Comment est-ce que vous percevez ce prix aujourd’hui ? Qu’est ce qu’il signifie pour vous ?

C’est super ! Quand j’ai fini ce film et qu’il a fallu le montrer, je me disais « mais qui va pouvoir être intéressé par ce film-là ? ». J’étais persuadé que les gens allaient partir au bout d’un quart d’heure ! Que les gens n’allaient pas accepter cette proposition visuelle si singulière. Le fait que ça plaît à un certain public, et notamment à la jeunesse, pour moi, c’est formidable !

Remerciements à Sébastien Laudenbach pour le temps qu’il nous aura consacré, ainsi qu’à Aurélien Landivier et aux équipes de France Culture.