Été 85 – Peut-on vraiment échapper à son histoire ?

François Ozon, pour son nouveau film, adapte le roman La Danse du coucou d’Aidan Chambers, qu’il a lu durant sa jeunesse et dont il rêvait l’adaptation. C’est désormais chose faite, mais l’intrigue, prévue initialement à l’été 1984, est transposée à l’été 1985. Ce choix, étonnant, est lié à un souhait du cinéaste : intégrer une chanson de The Cure, In Between Days, ouvrant et clôturant le film. Cette chanson, que François Ozon écoutait dans son adolescence, témoigne-t-elle alors du caractère très personnel que prendrait pour lui le film ?

Durant cet été de l’année 1985, dans le Nord de la France, Alexis (Felix Lefebvre) emprunte un bateau à une connaissance et met les voiles. Tempête. Il chavire et se retrouve sauvé de justesse par David (Benjamin Voisin). De cette rencontre entre ces deux jeunes hommes, issus de classes sociales différentes, découle la naissance d’une relation particulière, une amitié de rêve, un amour de jeunesse.

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Les Parfums – Une légère note d’herbe coupée

Histoire d’une rencontre improbable, Les Parfums de Grégory Magne narre la rencontre entre un chauffeur en proie à des difficultés familiales, Guillaume Favre (interprété par Grégory Montel) et d’un célébrité de la parfumerie, Anne Walberg (Emmanuelle Devos). L’intrigue démarre assez simplement : Guillaume doit à tout prix conserver son travail s’il veut déménager et obtenir la garde alternée de sa fille unique, Léa. Son patron l’envoie conduire une cliente difficile qui a déjà renvoyé plusieurs chauffeurs, qui n’est autre que Mademoiselle Walberg. De cette rencontre improbable découlera le cheminement des personnages vers le « meilleur » d’eux-mêmes.

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Jacques Rivette – Le cinéaste qui étudia le geste de création

Comprendre son propre processus de travail semble être pour un artiste une étape importante à en croire l’abondante littérature qu’ils ont tendance à laisser derrière eux. Journaux publiés, textes savants, auto-portraits ont permis de documenter de manière précise leurs processus, leurs motifs, leurs raisons, leurs quotidiens. Cette aspiration à peut être trouver l’essence même de leur processus n’a jamais porté ses fruits, et leur action garde une part de naturelle étrangeté, d’incertitude génétique.

Au cinéma, l’un des apports du groupe de cinéastes issu des Cahiers du cinéma au début des années 1960 fut certainement la prise en considération de leur propre situation de créateur. En tentant de comprendre ce qui suscite leur geste, chacun va tenter de donner d’y donner du sens, de manières différentes, théoriques ou esthétiques : interroger ses maîtres et sa filiation dans une Histoire du cinéma, chercher à comprendre l’influence des autres arts (notamment la littérature, ou la peinture) sur leurs propres œuvres… Jacques Rivette en est un parfait exemple tant son cinéma repose sur cette idée de la création, et sur ce désir de la filmer. En ressortiront des œuvres aux formes atypiques, permettant la pleine étude de son sujet : laisser le temps de la création se dérouler devant nos yeux, comme pour tenter de la saisir.

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Gloria Mundi – Ne plus avoir le temps d’aimer

Poursuivre une réflexion entamée il y a déjà bien longtemps en s’engouffrant toujours plus loin dans la noirceur d’une époque qui semble sombrer dans le désespoir. Robert Guédiguian semble alarmé par un néo-libéralisme destructeur, par une culture du rejet, du renfermement sur soi. C’est la rupture du lien entre les individus, précarisés et de plus en plus désunis. L’angoissant discours de Gloria Mundi est celui du miroir tendu à un monde boursouflé. Débuter par un événement comme une naissance, celle de la petite Gloria, aurait pu être un symbole de réunion. Le tissu composant les relations de cette famille est pourtant abîmés par des discours pervers réapproprié, devenu credo de chacun d’entre eux : le credo conditionnant les dominés à être des dominés. Continuer la lecture de « Gloria Mundi – Ne plus avoir le temps d’aimer »

J’accuse – Une société tombant en décomposition

La grande place de l’École de Guerre, à Paris. On y voit au loin les masses armées, en rang. S’en détachent quelques hommes qui s’avancent dans un tout harmonieux et uniforme. Pourtant, l’un d’entre eux n’en fera plus partie : on lui retire ses grades, ses boutons, les dorures de sa tenue, on lui brise son épée. C’est Alfred Dreyfus. C’est une humiliation organisée d’un traître collaborant avec les allemands, d’un juif, clamant son innocence malgré des preuves reconnues comme accablante. Envoyé sur l’île du diable, il subira la prison, enchaîné à son lit, isolé du monde, perdu dans l’étendue bleue. Une humiliation qui durera douze ans.

Projet de longue date, J’accuse est, pour Roman Polanski, l’occasion de retracer une affaire majeure de l’Histoire contemporaine française et européenne. Une occasion de raconter le récit des faits, de manière très pédagogique et détaillée (1), en suivant le parcours du colonel Picquart (Jean Dujardin, formidable de retenue et de dureté). Personnage méconnu, il fut pourtant l’enseignant d’Alfred Dreyfus, avant d’être promu aux renseignements de l’armée et, à la fin de sa carrière, Ministre de la Guerre de Clémenceau. Catholique, bourgeois, antisémite (comme tout le monde à cette époque), il incarne la rigueur militaire et est porteur de convictions fortes : lorsqu’il découvre l’erreur qu’a subit Dreyfus, il faut agir. Autant pour la personne innocente que dans l’intérêt de l’armée. En souhaitant défendre la vérité, il se retrouve à lutter contre un système corrompu, perverti, capable de comploter pour garantir qu’un coupable qui arrange tout le monde reste en prison. Cette noirceur se retrouve dans l’esthétique même du film : les teintes de gris de la photographie magnifique de Pawel Edelman, l’usage de la courte focale pour tordre les perspectives et les espaces, tout contribue à instaurer un malaise, une ambiance de saleté, de poussière… Continuer la lecture de « J’accuse – Une société tombant en décomposition »

Chambre 212 – L’automne d’un couple

Chambre 212 marque de façon insolente et légère l’actualité du cinéma de Christophe Honoré. Après un cycle de films sombres et souvent musicaux, ainsi qu’un passage par le théâtre, le réalisateur met en scène la crise d’un couple qui se retrouve face à ses fantômes par fenêtres interposées.

Les choix narratifs du film semblent faire la synthèse des différentes activités du réalisateur. En effet, au travers d’une œuvre malicieuse, de nombreux procédés relatifs à différents types d’arts sont dissimulés. La rue est tout d’abord présentée comme un décor dont la scénographie semble être empruntée à celle d’un plateau de théâtre. Les deux fenêtres des immeubles se font faces, comme si deux périodes de la vie d’un couple se regardaient en miroir. Une esthétique du délabrement semble avoir été recherchée pour l’appartement conjugal, symbolisant l’ennui dans lequel s’était installée la relation. De l’autre côté de la rue, la chambre 212, où semble exister un espace hors du temps, presque fantastique.  L’utilisation de la fumée, les porte qui claquent, un très mauvais sosie de Aznavour grimé en Jiminy Cricket : tout apparaît avoir été choisi comme avatars de contes merveilleux pour matérialiser l’irréalité de cette histoire. Comme dans une pièce de théâtre, les entrées et sorties des personnages marquent les débuts et les fins de scène. On peut également noter une omniprésence du motif du rideau ou de la porte, qui s’ouvre sur des secrets ou des fantômes. Ce ballet fait valser les différentes époques de la relation et donne notamment un coté très espiègle aux autres personnages-figurants du film. C’est également une des premières fois que l’on peut noter une utilisation presque totalement intradiégétique de la musique chez Christophe Honoré sans passer par des acteurs-chanteurs. C’est également un film « très parlant » et qui a comme arme principale une écriture ciselée et intelligente. La beauté du film, au-delà de la finesse de son écriture, réside aussi dans le choix de Chiara Mastroianni. Elle n’est pas idéalisée dans un rôle de Don Juan mais bien comme une femme en proie à ses désirs et au temps qui passe. C’est une proposition de rôle très intéressante méritant amplement son prix d’interprétation à Cannes. Continuer la lecture de « Chambre 212 – L’automne d’un couple »

Les Hirondelles de Kaboul – Le chant des hirondelles restées libres

Y’a-t-il déjà eu un Kaboul libre ? C’est en exergue ce qui ressort de conversations croisées au fil des Hirondelles de Kaboul, long-métrage d’animation réalisé par Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec. Un Kaboul en ruine, ravagé par la guerre, devenu le quotidien de ces familles, de ces enfants, de ces groupes d’hommes. Ces derniers s’amassent sur les places publiques pour assister – et participer – à une lapidation, devenue un spectacle de rue comme un autre. Les plus âgés se souviennent de la guerre contre l’Union Soviétique – même les plus anciens se souviennent qu’avant, c’était déjà la guerre. La paix et la liberté semblent des souvenirs lointains, un rêve entraperçu en passant devant de vieux bâtiments. Des traces ont survécu : cette librairie, ce « cinéma/théâtre », ou cette université dont on traverse les restes, comme des témoignages de ce qui a été, comme des témoignages de ce qui aurait pu être. Ce ton, ces accents que prend le film se retrouve dans son esthétique : cette peinture à l’aquarelle vient évoquer un souvenir, un trait doux où il manque quelque chose, l’espace n’est pas parfaitement rempli. Le dessin a quelque chose d’aérien. Continuer la lecture de « Les Hirondelles de Kaboul – Le chant des hirondelles restées libres »

Une Fille Facile – Vacances au goût amer

Sofia (Zahia Dehar) retrouve sa cousine Naïma (Mina Farid) à Cannes, le temps d’un été. Nous suivons leurs aventures, à la croisée des mondes : Naïma est une jeune fille issue d’un milieu populaire, et Sofia, dont on devine le métier d’escort girl, nage dans le milieu aisé. Lors de ces vacances, elles rencontrent deux hommes, riches, et nouent une relation avec eux.

Entrons dans le vif du sujet : j’ai passé un bon moment, j’aime le côté vintage de l’image, la musique, les sons, les paysages. La forme est belle, on se sent à Cannes : soleil, plage, soirées, cette ambiance légère qui nous a tous déjà fait tiquer – « tiens, je me sens en été ». Le choix des acteurs est judicieux et appréciable : Rebecca Zlotowski l’a soulignée elle-même, le choix de Mina Farid comme une jeune femme moins « tape à l’oeil », pas très sexualisée, qui incarne parfaitement l’image de l’adolescente « comme tout le monde »; Zahia Dehar, personnage sulfureux mais qui revendique l’acceptation de soi, de son corps, de sa liberté sexuelle. Nuno Lopes (André) et Benoît Magimel (Philippe) dont les personnages sont loin des clichés bourgeois. Continuer la lecture de « Une Fille Facile – Vacances au goût amer »

Cannes 2019 | La Belle Époque – Une ode à l’humain et aux histoires

Accusé par certains d’être un film « c’était mieux avant », par d’autres d’être un fantasme phallocrate de Nicolas Bedos, son réalisateur, La Belle Epoque est, au contraire, un des plus grands films français de l’année 2019, et en tous cas de ce 72e Festival de Cannes.

Dans une époque où la tendance est à dire que le passé ne doit pas peser sur l’avenir, Bedos signe ici un film hors du temps, qui pourrait faire partie de la série Black Mirror : Victor, sexagénaire fatigué par la vie, et de manière générale par la modernité, se voit proposé de vivre une expérience en retournant dans le temps à l’époque qu’il souhaite. Choisissant l’année 1974, date à laquelle il rencontra pour la première fois son épouse, Victor choisit ainsi de revivre sa première rencontre, afin de comprendre pourquoi celle dont il était fou amoureux alors ne l’aime plus aujourd’hui. Continuer la lecture de « Cannes 2019 | La Belle Époque – Une ode à l’humain et aux histoires »

Zombi Child – Le lien entre les petites bourgeoises et les zombis haïtien

Les dernières réalisations de Bertrand Bonello font partie de ce qui est arrivé de mieux au cinéma français depuis quelques années. Citons pour preuve Saint Laurent en 2014 et Nocturama en 2016. Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, il serait facile de reconnaître comme un « petit » film de transition Zombi Child : petit budget, tournage rapide, Bonello explique lui-même le rôle respiratoire du projet, après des œuvres très ambitieuses. Il ne faut malgré tout pas sous-estimer l’intérêt de Zombi Child qui non seulement fait écho à de nombreux aspects de ses derniers films (à la fois thématique, mais aussi en terme de structure), et invite à la réflexion sur un sujet capital : l’appropriation culturelle. Continuer la lecture de « Zombi Child – Le lien entre les petites bourgeoises et les zombis haïtien »