Never Rarely Sometimes Always – L’impossible proximité des êtres

Dans une petite ville de Pennsylvanie, Autumn, 17 ans, tombe enceinte. Seule moyen pour elle d’avorter discrètement, elle décide de se rendre à New York. La britannique Eliza Hittman, pour son premier film outre-atlantique, a véritablement créé l’événement. Never Rarely Sometimes Always parvient à lier une approche quasi-documentaire à un récit personnel, spécifique, d’englober des considérations très culturelles – très américaines, à des questionnements qui peuvent faire sens n’importe où dans le monde. Quasi-documentaire d’abord, dans sa manière de décrire la procédure de l’avortement. Tout un système administratif est ici dépeint, anonymisé mais humain – parce qu’on lui pose un visage, une voix. Très culturel en fait, quand il aborde la question du financement d’un tel système, ou quand plus prosaïquement le film installe son décor – New York, qui apparaît de manière sporadique mais évidente tout au long du film.

C’est dans sa mise en scène qu’Eliza Hittman parvient à transmettre ce que ces deux jeunes filles traversent. La violence de ce qu’elles subissent parfois sans broncher est comme souligné par la construction du film, son montage. On pense par exemple à leur rencontre dans le bus avec un jeune garçon, qui apparaît soudainement dans un gros plan par une petite tape sur l’épaule, avant d’être après quelques minutes réellement introduit dans un plan large, avec les deux jeunes filles.

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Annecy 2020 Online | Calamity – Une enfance dans le Far West

Qu’une équipe de français décide de s’emparer d’une figure de l’Histoire américaine était d’autant plus osé qu’il s’agissait aussi de se réapproprier l’esthétique propre à un genre : le western. Car oui, le Cristal du dernier Festival du Film d’Animation d’Annecy présente comme caractéristique d’en être un vrai, tout en tentant de raconter « une enfance » de Calamity Jane, comprendre une interprétation de l’enfance de celle qui était encore Martha Jane Cannary. Le deuxième film de Rémi Chayé (Tout en haut du monde) apparaît donc comme curiosité, du fait de son sujet – là où son précédent film, le réalisateur s’ancrait dans la société saint-pétersbourgeoise de la fin du XIXe siècle, Calamity installe son intrigue dans le Grand Ouest américain, sur la route de l’Oregon, dans de grandes plaines vides et montagneuses dignes d’un film de John Ford.

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Atlantique – Au delà de l’océan

Grand Prix de l’édition 2019 du Festival de Cannes, Atlantique est le premier long métrage de Mati Diop, réalisatrice franco-sénégalaise. Le film trouve ses fondations dans un pitch simple : Ada est une jeune sénégalaise éperdument amoureuse de Souleiman. Elle le fréquente en secret, alors qu’elle est promise à Omar. Un soir, alors qu’elle a rendez-vous avec son bien-aimé, il n’est pas là. Elle apprend par une amie que Souleiman et d’autres garçons sont partis par l’océan rejoindre l’Espagne. 

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J’ai perdu mon corps – Le formidable voyage d’une main

J’ai perdu mon corps, long-métrage d’animation réalisé par Jérémy Clapin, raconte l’histoire d’une main, celle de Naoufel. Séparée de lui, elle tente de le rejoindre. Pitch quelque peu étonnant, bien inhabituel, au résultat sensationnel.

En parallèle de la quête de la main, nous découvrons la vie de son propriétaire, avant leur séparation. Nous rencontrons un jeune homme dont le rêve de devenir pianiste et astronaute a été compromis : le voilà en livreur de pizzas maladroit. Son train-train quotidien est loin de le faire rêver ; jusqu’au jour où il rencontre, par le biais d’un interphone, une jeune femme. Il lui il voue alors un véritable phantasme, et va tout entreprendre pour la rencontrer. Continuer la lecture de « J’ai perdu mon corps – Le formidable voyage d’une main »

J’accuse – Une société tombant en décomposition

La grande place de l’École de Guerre, à Paris. On y voit au loin les masses armées, en rang. S’en détachent quelques hommes qui s’avancent dans un tout harmonieux et uniforme. Pourtant, l’un d’entre eux n’en fera plus partie : on lui retire ses grades, ses boutons, les dorures de sa tenue, on lui brise son épée. C’est Alfred Dreyfus. C’est une humiliation organisée d’un traître collaborant avec les allemands, d’un juif, clamant son innocence malgré des preuves reconnues comme accablante. Envoyé sur l’île du diable, il subira la prison, enchaîné à son lit, isolé du monde, perdu dans l’étendue bleue. Une humiliation qui durera douze ans.

Projet de longue date, J’accuse est, pour Roman Polanski, l’occasion de retracer une affaire majeure de l’Histoire contemporaine française et européenne. Une occasion de raconter le récit des faits, de manière très pédagogique et détaillée (1), en suivant le parcours du colonel Picquart (Jean Dujardin, formidable de retenue et de dureté). Personnage méconnu, il fut pourtant l’enseignant d’Alfred Dreyfus, avant d’être promu aux renseignements de l’armée et, à la fin de sa carrière, Ministre de la Guerre de Clémenceau. Catholique, bourgeois, antisémite (comme tout le monde à cette époque), il incarne la rigueur militaire et est porteur de convictions fortes : lorsqu’il découvre l’erreur qu’a subit Dreyfus, il faut agir. Autant pour la personne innocente que dans l’intérêt de l’armée. En souhaitant défendre la vérité, il se retrouve à lutter contre un système corrompu, perverti, capable de comploter pour garantir qu’un coupable qui arrange tout le monde reste en prison. Cette noirceur se retrouve dans l’esthétique même du film : les teintes de gris de la photographie magnifique de Pawel Edelman, l’usage de la courte focale pour tordre les perspectives et les espaces, tout contribue à instaurer un malaise, une ambiance de saleté, de poussière… Continuer la lecture de « J’accuse – Une société tombant en décomposition »

Cannes 2018 – BlacKkKlansman : contre l’absurde haine

Grand prix – Cannes 2018

La possibilité de parler de la haine et du racisme n’est pas donnée à tout le monde il semblerait bien, à fortiori dans l’ère de Donald Trump, de l’établissement de murs et de volonté de repli identitaire. Tout le monde s’accorde sur les maux, mais pas sur le remède. Pire, rares sont les films qui savent simplement poser le problème : Trump est élu et il faut lutter. Spike Lee, cinéaste engagé (au sens noble du terme), est justement en quête de longue date de constituer une pleine respectabilité pour les populations afro-américaines. Malgré une véritable traversée du désert d’une dizaine d’années (l’horrible remake de Old Boy,…), l’élection encore récente du bonhomme jaune à la présidence des États-Unis a réveillé le militant pour les droits civiques et il faut croire son inspiration au passage. Inspiration qui passe d’ailleurs par le fait que le film a été coproduit par Jordan Peele, fraîchement oscarisé pour son Get Out. Continuer la lecture de « Cannes 2018 – BlacKkKlansman : contre l’absurde haine »

Hallucinations Collectives 2018 – Des sorcières ? C’est un peu magique en tout cas…

Les Hallucinations Collectives, c’est un peu un moment qu’on attend pour se nettoyer un peu les yeux devant des choses étonnantes, étranges, rares et difficiles à voir. C’est un grand bonheur très lyonnais qu’aller le week-end Pascal se faire sonner la cloche (la tête, ndlr) au Comoedia ! Et cette année, il y en avait des choses à voir !

À commencer par The Lords of Salem (2012) de Rod Zombie : un des moments forts de cette édition, la projection d’un film jamais sorti en salle mais devenu culte en quelques années, ce qui ne s’est pas démenti au vu du succès de la séance – organisée un mercredi à 15h ! De même, saluons la soirée Chic Corée : deux œuvres peu (en fait, pas) montrées en France : Welcome to Dongmakgol (2005) et The Fake (2013). Le premier, réalisé par Kwang-Hyun Park est consacré au déchirement entre les deux Corées pendant les années 1950, n’est pas sorti en France mais l’excellent bouche à oreille qui accompagnait le film s’est confirmé dans la salle. Quant à The Fake, réalisé par Yeon Sang-ho (Dernier Train pour Busan), il sortira en Blu-ray dans quelques semaines – film d’animation, industrie dans laquelle le réalisateur a commencé – a marqué plus d’un festivalier par sa noirceur. Certains en parlaient encore à la clôture, c’est pour dire… Continuer la lecture de « Hallucinations Collectives 2018 – Des sorcières ? C’est un peu magique en tout cas… »

Rencontre avec le LYF d’Or 2017 : Marion Filloque (Les Âmes Sœurs) !

Quelques heures avant la révélation du palmarès de la seconde édition du Festival du Film Jeune de Lyon, nous avons pu échanger avec Marion Filloque, lauréate du prix de la meilleure réalisation ainsi que du très convoité LYF d’Or ! Elle était accompagnée à cette occasion du directeur de la photographie du film, Nicolas Fluchot…

Bonjour Marion ! Est-ce que tu peux nous parler de ton parcours ? Continuer la lecture de « Rencontre avec le LYF d’Or 2017 : Marion Filloque (Les Âmes Sœurs) ! »

Clap de fin sur le LYF 2017 ! + Palmarès

C’était ce matin, dans l’enceinte du Comoedia, que s’est clôt le 2e Festival du Film Jeune de Lyon. Moments d’émotions, de surprises et d’éclats de joies pour les lauréats, tous âgés de moins de 25 ans. C’était pour certains leur première expérience face à un vrai public d’inconnus. Et l’on sait comme le public lyonnais est chaleureux et cinéphile !

Ce fut ainsi une occasion de visionner sur grand écran des films aussi divers que Vas, je ne te hais point, pour lequel Cléo Senia a reçu le prix de la meilleure interprétation – autour de la célèbre ligne de Corneille et de la difficulté de la jouer correctement entre caprices d’actrices et mauvaises prises.

Le film de Nina de Sandrans, Sauvage Urbain, est reparti avec le prix du meilleur montage.

Nouveau cette année : les films d’animations et les documentaires ont fait leur entrée dans la compétition par la grande porte ! Ce fut ainsi Le Dernier pas, réalisé par Vicky Petrequin, qui repart avec le prix du meilleur film d’animation. Quant au meilleur documentaire, c’est Jérémie Attard qui l’emporte avec dans Le Cinéma de Papa, une œuvre touchante dédiée au travail de son père réalisateur.

Parmi les grands vainqueurs de ce festival, Sunlight, d’Anatole Levilain-Clement repart avec le prix de la meilleure bande originale et le prix de la meilleure image. Moto, de Théo Abadie, repart avec le prix du meilleur film étudiant en audio-visuel et Corvi, après sa victoire au Festival du Film Lycéen de Saint-Just (membre du l’Union du Film Jeune), repart avec le prix du meilleur film lycéen.

Le prix du public a été remis au très joli documentaire Lire, écrire, réalisé par Manon Brookfield, consacré à l’apprentissage de la langue, mêlant les interventions d’enfants et d’enseignants. Le film est disponible en ligne, profitez en !

Décision sans appel, réalisé par Maxence Raphael et Théo Blossier, œuvre touchante sur deux hommes dans le coma, repart avec deux prix : celui du meilleur scénario et du meilleur film étudiant. Théo Blossier avait déjà remporté le prix du public l’année dernière (avec Temps d’attente)… Vivement le prochain film !

Et last but not least, le prix de la meilleur réalisation ainsi que le LYF d’or repartiront avec Marion Filloque pour son film Les Âmes sœur. Véritable coup de cœur du festival pour ce film qui traite habilement des relations entre deux sœurs, dont l’une est atteinte d’une maladie psychiatrique.

L’édition s’est ainsi achevé sur de chaleureux applaudissements, à la fois pour les lauréats et pour l’équipe, qui prépare déjà une prochaine édition aux petits oignons… Mais en attendant, ce soir, c’est flammekueche.

Les lauréats de la 2e édition du Festival du Film Jeune de Lyon :

Meilleure interprétation : Vas, je ne te hais point
Meilleur montage : Sauvage urbain
Meilleure image : Sunlight
Meilleure bande originale : Sunlight
Meilleur film d’animation : Le Dernier pas
Meilleur documentaire : Le Cinéma de Papa
Meilleur scénario : Décision sans appel
Meilleure réalisation : Les Âmes sœurs

Prix du Public : Lire, écrire
Prix du meilleur film lycéen : Corvi
Prix du meilleur film étudiant : Décision sans appel
Prix du meilleur film étudiant en audio-visuel : Moto
LYF d’or : Les Âmes sœurs