[Cannes 2017] Le Redoutable de Michel Hazanavicius

Compétition officielle

Je commence tout d’abord par préciser que je déteste Godard. Non pas forcément le personnage, qui m’indiffère, même si sa connaissance du cinéma et l’impact que son oeuvre a eu dans l’art est indéniable. Mais ses films sont pour moi insupportables. J’ai tenté d’en voir deux (ses plus connus, Le Mépris et A Bout De Souffle) et n’en ai fini aucun, trop insoutenable pour moi.

Aujourd’hui je remarque qu’on connait plus Jean-Luc Godard pour ses frasques et ses coups de gueules que pour ses productions cinématographiques, l’artiste s’étant en effet retiré par lui-même de l’industrie « classique » du cinéma pour en explorer la face la plus expérimentale et politique (retenons ses deux dernières production, le troublant et en 3D Adieu au Langage et un court-métrage pour le film collaboratif Les Ponts de Sarajevo). La radicalité du virage artistique pris par Godard est d’ailleurs le point central de ce film qui, tout en se déguisant en une amusante pastiche, peine à cacher son l’admiration pour ce héros de l’art. Sans sombrer dans l’hommage aveuglé par une idolâtrie mal placée, Hazanivicius livre un film d’une simplicité troublante et d’une grande drôlerie, presque à l’inverse des films de Godard, justement…

La démarche est ici didactique et simple ; tout en usant de tous les effets propres au cinéma de la nouvelle vague (caméra, couleurs négatives, voix-off, regards-caméras, sous-titres parodiques, titres de parties, etc.) – sans parfois réelle utilité néanmoins – , Hazanivicius livre comme une introduction à Godard et à son cinéma à partir de son côté sombre pour mieux donner envie d’en voir l’autre côté, et prouve son don de la parodie (incontestable depuis les cultes Le Grand Détournement et les deux OSS 117) en plus de sa très grande cinéphilie, qu’il exploite pour mieux rendre hommage à un cinéma d’un autre temps que sa filmographie dessine de plus en plus précisément (les OSS parodiaient déjà le cinéma machiste d’un autre temps tandis que The Artist était un évident hommage au cinéma muet).

 

Le réalisateur livre donc un film d’une grande ingéniosité de part sa simplicité loin d’être simpliste, et une comédie, au sens noble du terme ; car en effet on rit beaucoup devant ce film. On rit des coups de gueules de Godard, de ses réactions démesurées et parfois même de son malheur (combien de lunettes cassées et combien de rires en réponse ?), la scène la plus drôle restant surement le plan-séquence dans la voiture ramenant Godard et ses amis de Cannes où le talent des comédiens est le plus flagrant (mention à la petite apparition de Monsieur Fraize, l’humoriste absurde devenu subrepticement le second rôle incontournable des comédies françaises). Les comédiens en seconds-rôles ne sont pour autant jamais écrasés par la prestation de Louis Garrel qui livre ici un rôle bien différent de tous ses autres. Il s’agit là d’une performance ; mimétisme vestimentaire et capillaire, tics langagiers, allures, Garrel est méconnaissable car on ne voit plus lui mais Godard, la réussite est totale. Il ne sera pas donc pas surprenant de le voir surement nommé aux Césars l’année prochaine…

Pour autant, même s’il est l’attraction du film, Garrel est bien obligé de laisser place à LA découverte du film, la gracieuse Stacy Martin, qui, avec douceur et simplicité, s’impose en premier rôle du film, et se fait l’incarnation du regard en diagonal que prend Hazanavicius sur le film ; elle, et son personnage de muse du cinéaste, est celle qui justifie ce regard distancié sur le trublion Godard et en permet autant un hommage qu’une critique. Grâce à son rôle d’amoureuse admirative se rendant compte de l’extrémisme démesuré de l’engagement politique et artistique (qui seraient la même chose pour Godard) de son amant, Hazanavicius obtient les scènes les plus émouvantes du film ; car il est évident qu’une histoire d’amour avec Godard ne doit pas être chose facile, promesse d’un récit mouvementé. C’est donc par Stacy Martin, véritable révélation, que le film se fait charmant, doux, léger, drôle et émouvant…

S’il est certain que Godard n’appréciera pas ce film (ou bien ne le verra surement jamais), Le Redoutable est une jolie réussite qui permet à Hazanavicius de contredire ceux qui disent de lui qu’il n’est pas un cinéaste sérieux.

Ainsi donc, si je n’ai pas pu finir un film de Godard, j’ai été enchanté devant un film sur Godard.

Le film sortira le 13 septembre en France. Vu dans le cadre de la semaine de reprise au Comoedia.

 

2017, année Lynch ?

Les cinéphiles avaient perdu la trace de David Lynch depuis la sortie en 2006 de son dernier long-métrage, Inland Empire, long film expérimental où l’artiste semblait découvrir avec jubilation les caméras numériques DV, comme, dans un autre style, son comparse Alain Cavalier en France.

Lynch se consacrait depuis à tous les autres projets qui lui sont chers et qui font qu’on a plus tendance à le nommer artiste au sens large du terme que plus spécifiquement cinéaste ; peintures, photographie (son œuvre, notamment la magnifique série réalisée dans des usines, est à découvrir sur son site : http://www.davidlynchphotography.com/) et même musique (auteur de deux très bons albums de blues-rock à tendance expérimentale, que je conseille vivement), …

Les cinéphiles en étaient réduits à désespérer de découvrir ses introuvables courts-métrages, ainsi qu’à se refaire l’intégralité de ses longs-métrages…

En février 2017 est sorti, malheureusement trop discrètement, un documentaire sur l’artiste, explicitement intitulé David Lynch : The Art Life. Quoique passionnant pour quiconque s’intéresse à l’homme et souhaite en apprendre plus à son sujet et le découvrir dans son intimité, ce documentaire laissait pourtant dans les bouches le goût amer de l’hommage. David Lynch était dorénavant un cinéaste du passé, un artiste vieillissant et retiré, désabusé par le monde du cinéma américain que ses films critiquent âprement et dans lequel il aura été un ovni rafraîchissant.

« David Lynch était… » « Il aura été… »

Voilà que le cinéphile se met à penser à Lynch au passé, à dresser des conclusions sur une œuvre qu’il se dit finie et qu’il n’y aura plus qu’à l’étudier rétrospectivement…

Une interview donnée il y a un peu plus d’un mois au quotidien australien The Sydney Morning Herald aura tôt fait de confirmer les craintes : « Oui. » répond-il clairement à la question « Inland Empire sera-t-il votre dernier film ? ».

C’en est donc fini de Lynch ?

Il en semblerait bien au contraire que Lynch n’ait jamais été autant sur le devant de la scène que ces derniers temps.

On sait tout d’abord bien qu’un buzz accompagne souvent les propos d’un artiste lorsque celui-ci annonce sa retraite : Steven Soderbergh, Hayao Miyazaki, Joaquin Phoenix … beaucoup sont déjà passés par là, et l’on a rarement autant entendu parler d’eux depuis.

Il faut d’ailleurs relativiser ; David Lynch a été encore une fois mal compris par les médias : « Mes remarques ont été mal interprétées. Je n’ai pas dit que quittais le cinéma. J’ai simplement expliqué que personne ne savait de quoi demain serait fait. » a-t-il déclaré sur le site internet du festival de Cannes il y a moins de deux semaines. On peut donc se rassurer.

Lynch n’a donc jamais été autant sur le devant de la scène : la sortie de la saison 3 de sa série cultissime Twin Peaks, présentée au festival de Cannes cette année, y est pour beaucoup. Adulé en partie pour ce passage à la télé, Lynch prend le pari risqué de revenir 25 ans après sur les terres hallucinées de la série qui lui valut la reconnaissance internationale, et de reprendre contact avec les fans, laissés orphelins depuis 1992 avec la sortie du film préquel Twin Peaks : Fire Walk With Me, qui avait profondément divisé le public et frustré plus d’un fan de la série.

Film qui d’ailleurs profite de l’élan autour de son réalisateur pour se permettre une superbe remasterisation 4K et une ressortie en salle, aux côtés d’un autre classique, Eraserhead, le premier long métrage du cinéaste, sorti en 1977 aux Etats-Unis.

Cela accompagné d’une ressortie, dans le cadre du programme UGC Culte, de Mulholland Drive, son avant-dernier film, Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2001, et bijou cauchemardesque porté par la grâce d’un cinéaste à son meilleur, ainsi que de la diffusion du trop rare du souvent oublié Une Histoire Vraie sur TCM, chaine qui, encore une fois, permet de vraies (re)découvertes.

 

Alors, 2017, année Lynch ?