Compétition officielle
Je commence tout d’abord par préciser que je déteste Godard. Non pas forcément le personnage, qui m’indiffère, même si sa connaissance du cinéma et l’impact que son oeuvre a eu dans l’art est indéniable. Mais ses films sont pour moi insupportables. J’ai tenté d’en voir deux (ses plus connus, Le Mépris et A Bout De Souffle) et n’en ai fini aucun, trop insoutenable pour moi.
Aujourd’hui je remarque qu’on connait plus Jean-Luc Godard pour ses frasques et ses coups de gueules que pour ses productions cinématographiques, l’artiste s’étant en effet retiré par lui-même de l’industrie « classique » du cinéma pour en explorer la face la plus expérimentale et politique (retenons ses deux dernières production, le troublant et en 3D Adieu au Langage et un court-métrage pour le film collaboratif Les Ponts de Sarajevo). La radicalité du virage artistique pris par Godard est d’ailleurs le point central de ce film qui, tout en se déguisant en une amusante pastiche, peine à cacher son l’admiration pour ce héros de l’art. Sans sombrer dans l’hommage aveuglé par une idolâtrie mal placée, Hazanivicius livre un film d’une simplicité troublante et d’une grande drôlerie, presque à l’inverse des films de Godard, justement…
La démarche est ici didactique et simple ; tout en usant de tous les effets propres au cinéma de la nouvelle vague (caméra, couleurs négatives, voix-off, regards-caméras, sous-titres parodiques, titres de parties, etc.) – sans parfois réelle utilité néanmoins – , Hazanivicius livre comme une introduction à Godard et à son cinéma à partir de son côté sombre pour mieux donner envie d’en voir l’autre côté, et prouve son don de la parodie (incontestable depuis les cultes Le Grand Détournement et les deux OSS 117) en plus de sa très grande cinéphilie, qu’il exploite pour mieux rendre hommage à un cinéma d’un autre temps que sa filmographie dessine de plus en plus précisément (les OSS parodiaient déjà le cinéma machiste d’un autre temps tandis que The Artist était un évident hommage au cinéma muet).
Le réalisateur livre donc un film d’une grande ingéniosité de part sa simplicité loin d’être simpliste, et une comédie, au sens noble du terme ; car en effet on rit beaucoup devant ce film. On rit des coups de gueules de Godard, de ses réactions démesurées et parfois même de son malheur (combien de lunettes cassées et combien de rires en réponse ?), la scène la plus drôle restant surement le plan-séquence dans la voiture ramenant Godard et ses amis de Cannes où le talent des comédiens est le plus flagrant (mention à la petite apparition de Monsieur Fraize, l’humoriste absurde devenu subrepticement le second rôle incontournable des comédies françaises). Les comédiens en seconds-rôles ne sont pour autant jamais écrasés par la prestation de Louis Garrel qui livre ici un rôle bien différent de tous ses autres. Il s’agit là d’une performance ; mimétisme vestimentaire et capillaire, tics langagiers, allures, Garrel est méconnaissable car on ne voit plus lui mais Godard, la réussite est totale. Il ne sera pas donc pas surprenant de le voir surement nommé aux Césars l’année prochaine…
Pour autant, même s’il est l’attraction du film, Garrel est bien obligé de laisser place à LA découverte du film, la gracieuse Stacy Martin, qui, avec douceur et simplicité, s’impose en premier rôle du film, et se fait l’incarnation du regard en diagonal que prend Hazanavicius sur le film ; elle, et son personnage de muse du cinéaste, est celle qui justifie ce regard distancié sur le trublion Godard et en permet autant un hommage qu’une critique. Grâce à son rôle d’amoureuse admirative se rendant compte de l’extrémisme démesuré de l’engagement politique et artistique (qui seraient la même chose pour Godard) de son amant, Hazanavicius obtient les scènes les plus émouvantes du film ; car il est évident qu’une histoire d’amour avec Godard ne doit pas être chose facile, promesse d’un récit mouvementé. C’est donc par Stacy Martin, véritable révélation, que le film se fait charmant, doux, léger, drôle et émouvant…
S’il est certain que Godard n’appréciera pas ce film (ou bien ne le verra surement jamais), Le Redoutable est une jolie réussite qui permet à Hazanavicius de contredire ceux qui disent de lui qu’il n’est pas un cinéaste sérieux.
Ainsi donc, si je n’ai pas pu finir un film de Godard, j’ai été enchanté devant un film sur Godard.
Le film sortira le 13 septembre en France. Vu dans le cadre de la semaine de reprise au Comoedia.