Martin – Histoire d’une décomposition romantique

Alors que la fête d’Halloween vient de passer, il revêt quelque chose de particulier de parler d’un cinéaste comme Romero. Puissante figure du cinéma fantastique américain, il est mondialement connu pour avoir réinventé la figure du mort-vivant à la fin des années 60 avec Night of the Living Dead. Il dépassa la figure en lien avec la culture vaudou, magnifiquement mis en scène auparavant par Jacques Tourneur, dans les années 1940, avec I Walked With A Zombie. Transformant l’esclave sans conscience, travaillant dans les champs en une créature venant d’outre-tombe, il avait su insérer le trait si caractéristique du monstre : le cannibalisme. Le plus impressionnant, et involontaire, est que ces nouveaux monstres vont catalyser bons nombres de questionnements sociaux, comme les tensions raciales qui traversaient la société de l’époque. Après cette première réussite de Romero, s’en suivi deux autres volets d’une trilogie représentant une véritable montée en puissance, aussi bien en termes de moyens que d’ambitions et de thématiques. Dawn of the Dead est sorti en 1978 d’abord en Italie, avec une version européenne montée par Dario Argento et mise en musique par Goblin. Romero assuma complètement sa dimension politique et sociale dans Day of The Dead en 1985, résultat d’une production chaotique au budget réduit et au script initial complètement réécrit.

Œuvre majeure pour la figure du zombie, la trilogie de Romero vient de bénéficier d’une ressortie en salle et d’une projection lors du Festival Lumière. Le reste de la filmographie de Romero reste malheureusement méconnu. Il a adapté Stephen King, mis en scène des singes tueurs ou encore des chevaliers à moto. Surtout, il a repensé la vieille figure du vampire : c’est justement le film qui nous intéresse aujourd’hui. Certainement l’un de ces films les plus connus en dehors de ses films de zombie, et sûrement son meilleur film : Martin. Continuer la lecture de « Martin – Histoire d’une décomposition romantique »

Review et digressions sur Stranger Things 2

Précédemment …

Stranger Things, petite série sortie dans une relative discrétion à l’été 2016, puis grimpée dans la fameuse aire – souvent mortelle pour nous, cinéphiles – du mainstream en septembre de la même année, c’est cette série qui puise son inspiration dans différents parrains de la fantasy et de la SF des années 80 : Stephen King, Steven Spielberg. Le tout arrosé de références, d’icônes, et d’une bande-son tout droit issue des eighties, cela ne pouvait que plaire, et sont bien fines bouches ceux qui prétendent que la série ne leur a pas tiré une seule petite émotion de leur cœur de pierre.

Synopsis (sans spoilers promis)

L’action de la saison 1 se déroule dans la petite ville d’Hawkins, ville sans problème, où nous trouvons une bande de quatre potes, Dustin, Mike, Lucas et Will, fan de Donjons et Dragons, des aventures de Tolkien et affublés évidemment de leurs vélos (filmés comme s’il s’agissait de Harley Davidson) qui déambulent dans leur collège, au club d’audiovisuel, et avec le professeur de sciences naturelles, en bon gros geeks qu’ils sont tous.

Sauf qu’un soir, Will disparaît. Et là, toute une série d’événements commence à frapper la petite ville sans histoire, avec notamment la présence d’un laboratoire du département de l’Energie top secret à proximité … Continuer la lecture de « Review et digressions sur Stranger Things 2 »

L’Assemblée – Allons nous parler ou crier pour être entendu

Dans le cadre de la reprise ACID au Comoedia

La parole est l’unité démocratique, c’est évident. Le cinéma n’a pas toujours eu besoin de la parole, l’Histoire nous le rappelle. Faire un film sur Nuit Debout, pour interroger notre rapport à la démocratie, à la parole, c’est soit non-cinématographique, soit non-démocratique. Pourtant, les limites se brouillent. Le documentaire de Mariana Otero renvoie à ce que nous avions tous remarqués : autant que les manifestants, les nuit-deboutistes, les caméras étaient des acteurs de cette action historique qui a eu lieu au printemps 2016.

Pourtant, impossible de proposer un film parfait sur ce sujet : Nuit Debout, c’était confus, mélange d’émotions, d’idées, de projets, de mouvances. Il y a en réalité autant de Nuit Debout que de participant. Plus encore, il n’en reste que des souvenirs et des rushs, notamment ceux de Mariana Otero. Elle même nous confiait être surprise d’être la première (visiblement) à sortir un film sur le sujet. Son documentaire fera date parce qu’il pointe les sujets et les problématiques qui sont sorties de Nuit Debout pour animer les débats de la campagne de 2017. Et ces débats, ils doivent, permettre une refondation de notre démocratie. Cela passera par le mot, la phrase, leurs sens et le pouvoir des images. Continuer la lecture de « L’Assemblée – Allons nous parler ou crier pour être entendu »

Le film jeune, une définition

Au sortir de l’édition 2017 du Festival du film Jeune de Lyon, Pierre Triollier du Brochet, président de l’Association Lyf, nous livre une tribune dans laquelle il s’essaie à une définition du film jeune, notion précise, notion floue, qui porte en elle les bases même de l’existence de l’Association Lyf, du Festival du film Jeune, et de l’Union du film Jeune.

Il est une notion qui nourrit les débats les plus intenses entre le Lyf et ses partenaires d’une part, mais également au sein même des Jurys successifs du Lyf. Ce débat porte sur le film jeune. Qu’est-ce ? Comment le définir ? Par qui est-il produit ?

Cinéma professionnel ? Espoir en gestation ? Le film jeune est-il seulement définissable, n’est-il plutôt pas condamné à demeurer une notion vague. Ou alors, devons-nous l’inventer pour qu’il existe ?

Une notion unique et nouvelle

En effet, le Festival du film Jeune de Lyon est unique en son genre. Il existe des festivals du film lycéen, des festivals de court-métrages ouverts aux courts réalisés par des étudiants en école de cinéma ou de création audiovisuelle. Mais un Festival du film Jeune en général, cela n’existe qu’à Lyon, et c’est organisé chaque année en septembre par l’Association Lyf.

Cette notion repose sur deux choses, un constat tout d’abord, puis une raison organique à la création de ce Festival en 2016.

Un premier constat : l’absence de Festival du film Jeune à Lyon

Avec la fermeture de la section films du bac du Festival du film court de Villeurbanne, les jeunes réalisateurs lycéens de la Ville Lumière, berceau du 7ème art, voyaient leurs films cantonnés à leurs placards. Il était quand même aberrant que dans cette ville, qui a vu la naissance du cinématographe par la technique des ingénieurs Lumière, il n’y ait pas d’espace, pas de proposition faite aux jeunes talents du cinéma, qui représentent potentiellement les grands artistes de demain.

L’Association Lyf a voulu proposer à ces jeunes, pleins de talent, une opportunité de visibilité pour leur travail, ce qui est chose faite. Bien que le film lycéen soit en lui-même un sous-genre du film jeune (contrainte de moyens, âge des réalisateurs, …), il apparaissait qu’il serait plus pertinent de mêler dans un même festival des lycéens et des étudiants, les uns pouvant s’inspirer des autres, créer des relations, un réseau de connaissance pour leur orientation et leur épanouissement dans leur passion commune.

Le parcours et l’origine des fondateurs de l’association Lyf

Si l’Association Lyf a créé un Festival du film Jeune de cette nature et qui surprend tellement par son décalage par rapport aux festivals traditionnels, c’est aussi en partie dû à l’origine et le parcours universitaire de ses fondateurs et membres. Jusqu’à la création d’un partenariat avec l’association Kinoks [association des étudiants de la licence Arts du spectacle – cinéma de l’Université Lyon 2, ndlr], aucun étudiant en cinéma ou en étude supérieure audiovisuelle ou cinématographique n’avait pris part à l’organisation du Festival ou des autres activités de l’association.

L’Association Lyf est d’abord née de la volonté du Festival du film lycéen de Saint-Just et du Festival Luciole (lycée la Martinière Monplaisir) de s’unir pour mieux développer leurs initiatives novatrices et uniques et les propager dans d’autres lycées ou établissements. De cet idéal est né l’Union du film Jeune qui rassemble différentes associations et manifestations en relation avec le cinéma jeune. Cette Union participe à l’organisation du Festival du film Jeune, qui se trouve de fait aux mains d’étudiants et de lycéens de tous horizons.

De fait, donc, l’Association Lyf étant composée de personnes de tous horizons, nous avons collectivement fait le pari tacite d’organiser une manifestation cinématographique d’un genre nouveau.

Le film jeune comme air frais sur le cinéma lyonnais

En effet, qu’est-il comme intérêt pour la jeunesse que les seuls festivals du cinéma qui lui sont dédiés soient des machines à promouvoir les différentes écoles lyonnaises entre elles, celles-ci se disputant les places du palmarès. Au Lyf, nous jugeons le produit fini, ainsi un lycéen et un étudiant de la Cinéfabrique, ainsi qu’un étudiant de la Factory peuvent être récompensés, en atteste le palmarès de l’édition 2017.

L’acceptation du film jeune comme notion transversale du film lycéen au film étudiant et au film étudiant en filière audiovisuelle est nécessaire et préalable à la création d’une véritable culture cinématographique jeune à Lyon et en France.

Encore une fois, à Lyon notamment comme nous le constatons, mais également en France, même dans un milieu artistique sensé être davantage progressiste, les grandes écoles supérieures de cinéma, qu’elles soient publiques ou privées, concentrent à elles-mêmes le mérite et la récompense quand tant d’âmes jeunes et vives se démènent au lycée ou sur les bancs de la faculté pour faire vivre un cinéma différent, un cinéma hors des cadres habituels, un cinéma outre-académique.

Enfin, un néologisme assumé

Nombreux sont ceux qui tentent de nous mettre dans des cases. Nous ne sommes pas un festival de court-métrages professionnels, ni un festival de court-métrages amateurs. Notre ligne éditoriale se dresse sur la simple base de l’âge de nos candidats : 25 ans ou moins. 25 ans c’est l’âge auquel on n’a plus accès aux réductions étudiantes, c’est aussi l’âge auquel on ne peut plus être membre du Bureau de l’Association Lyf.

Alors oui, nous créons de choses nouvelles, de nouvelles notions, et nous en assumons et en assumerons toujours les conséquences. La création est au cœur de la passion qui nous guide dans cette aventure, et il est donc normal que nous occupions ce créneau qui avait été laissé libre par les acteurs du cinéma lyonnais auparavant.

Il est aussi naturel pour nous d’appeler à la multiplication des initiatives de notre genre. Créez, échangez, développez les initiatives cinématographiques jeunes.

J’invite la jeunesse à créer son propre cinéma au lieu de se laisser dicter des valeurs par le cinéma académique ou professionnel, la création appelant la création, sommes-nous à l’aube d’une nouvelle vague de la jeunesse, nouvelle vague qui sera forcément émancipatrice pour les jeunes comme pour les moins jeunes.

Etre jeune, c’est créer. C’est conserver une fougue, une perspicacité, une vivacité qui n’a pas d’âge. Notre création d’un cinéma jeune n’a pas vocation à en exclure les moins jeunes, mais à mettre les lycéens et les étudiants au devant de la création artistique cinématographique lyonnaise.

Notre démarche n’est pas de faire pousser des ailes imaginaires à un lycéen ou un étudiant réalisateur. Notre démarche est de le responsabiliser dans sa création, en lui permettant de l’offrir à un public plus large.

En définitive, le Festival du film Jeune, l’Union du film Jeune, sont des créations artistiques autant que les films et manifestations qui les composent, et bien mal avisé serait celui ou celle qui chercherait à les placer dans une case pour les analyser.

Car si une telle case devait exister, nous l’aurions créée avant de l’occuper.

J’adresse sincèrement mes amitiés aux lecteurs de ce blog animé avec fougue et velléité par notre cher Lucas, ainsi qu’à tous nos amis, partenaires, sponsors, qui croient en ce rêve du film jeune, et plus particulièrement du film jeune lyonnais.

Pierre Triollier du Brochet

Président du Lyf, du Festival et de l’Union du film Jeune

Barbara – Abrogation du biopic par contumace

Le terme biopic est la contraction de biographical picture, un film biographique. Précisément ce que n’est pas Barbara de Mathieu Amalric. L’enjeu est alors ici de répondre à cette question : qu’est ce qu’est Barbara si ce n’est pas un biopic ? C’est l’étude des sentiments profonds suscités par la connaissance, par les traces de l’existence, de la chanteuse Barbara, par un jeune adolescent de 16 ans qui a vieilli (Amalric). Passionné par la voix, par les textes, mais peut-être plus encore par sa manière d’exister que par sa vie et ce qui l’a traversée. Une passion dévorante qui anime un Homme qui, dans un geste rempli de fatalité, essaie de faire sien un fantôme.

Et ce geste, il est cinématographique. Il est Mathieu Amalric, dans une mise en abîme, une justification scénaristique : on tourne dans le film, un autre film, sur Barbara. Cette dernière est interprétée par Jeanne Balibar, qui joue celle qui joue à être Barbara. C’est leur rencontre qui constitue le moteur du film : elle se transforme devant sa caméra. Comme un papillon sortant de sa chrysalide, elle change, le doute s’instille : est-ce une illusion que vit le réalisateur ? Ou un rêve éveillé ? C’est un fantôme, le fantôme qui survit à travers ces images d’archives (ou plutôt ces fausses images d’archives : c’est Balibar qui joue Barbara dedans…). Mais on oublie jusqu’aux traits de la vraie interprète, elles semblent respirer le même air.

Mêlant les techniques (fausses archives, caméra à l’épaule, longs plans séquence immortalisant un tournage de film…), on devine le fantasme. Celui de la voir, de l’avoir, pour de vrai, en chair et en os. Cette séquence exceptionnelle dans laquelle Amalric se jette devant la caméra pour se mettre dans le public écoutant Barbara à un concert. Amalric, toujours lui, qui va après le concert demander un autographe à Barbara-Balibar (vous suivez?). L’artiste répond d’un cinglant : « c’est un film sur vous ou un film sur moi ? ». « C’est la même chose ». Il a un regard d’enfant émerveillé.

Franchir l’illusion cinématographique, et le regard fasciné du réalisateur-acteur-scénariste-amoureux transi, essayer de « quitter ce décor » pour finalement rejoindre une pureté, une simplicité. Elle, sur son piano, chante. Lui, regarde, assiste. La caméra tourne autour, le blanc immaculé éclairant abondement le visage de Balibar, qui finit par disparaître à contre-jour. Ce n’était pas Balibar, peut être Barbara elle-même, ou un « spectre ». C’est ce mot qui est lâché quelques minutes après dans la séquence finale du film. La plus étrange sans doute : quelques plans, on est revenu à la maison où elle a vécu. Un châle (son châle), posé sur une chaise. C’est sa cape qu’elle a fait tombé, elle n’est plus super-héroïne, n’est plus cette femme fatale, cette séductrice, cette professionnelle, cette travailleuse, cette hystérique, ce petit animal fragile. Ou, au contraire, elle est tout ça à la fois. Elle est redevenue une femme normale, engagée (Barbara le fut véritablement contre le SIDA). Mais difficile de savoir s’il s’agit de Barbara ou Balibar. Qu’importe, finalement, pourvu que les fantômes s’impriment sur pellicule.

Barbara (2017) de Mathieu Amalric, avec J. Balibar, M. Amalric, V. Peirani. Sortie le 6 septembre 2017.