Le hasard fait parfois bizarrement les choses. Deux films hors-compétition que nous avons pu découvrir le 13 juin dernier se sont fait un écho inattendu. Deux films européens, racontant des histoires vraies, et utilisant un mélange d’animation et de prises de vues réelles. C’est, en fait, les points communs principaux au premier abord entre le film-documentaire de l’allemande Katrin Rothe et la coproduction entre la Norvège, la Pologne et la Lituanie réalisée par Anne Magnussen et Pawel Debski. Il existe ainsi dans les deux films un propos éminemment politique, ce qui dans l’Europe d’aujourd’hui ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Nous ne pouvions que revenir sur ces films, ensemble, pour essayer d’en comprendre les enjeux et les messages.
1917, The Real October (All, de Katrin ROTHE)
1917, The Real October est un film allemand, réalisée par la documentariste Katrin ROTHE. La particularité de son style est l’utilisation de marionnettes et de découpages pour retranscrire ici la Russie de 1917. On ne peut pas nier l’intérêt de sa démarche : essayer de reconstituer, dans une logique purement historiographique, les événements étant survenus entre février 1917 et octobre 1917 à travers les œuvres, les journaux, les mémoires des artistes de l’époque. L’intérêt réside dans la différence des lectures que chacun fait de ceux-ci : qu’ils soient des témoins lucides ou acteurs déçus, tous verront bien entendu leur vie bouleversée.
Dès lors, on peut s’intéresser au choix de l’animation : pourquoi ne pas avoir privilégié les images d’archive ? La réponse peut sembler surprenante, mais c’est en fait une mise en abîme intéressante : l’artiste est acteur de son époque, de son environnement social et politique. Comme ces artistes russe ont été actifs à différents degrés pendant la révolution de 1917, Katrin Rothe l’est aussi un siècle plus tard, en utilisant un procédé artistique. On sait l’influence qu’on eut les différentes révolutions européennes (la révolution française et la révolution russe notamment) sur les idéologies politiques actuelles, mais on oublie qu’elles ont engendré des contre-réactions défavorables aux artistes. Comme le film le dit lui-même, la révolution de février 1917 a apporté la liberté d’association, d’expression… avant de les supprimer parce que défavorable à la logique révolutionnaire. La force de notre époque, c’est justement notre liberté concrète et fiable de pouvoir s’exprimer, de pouvoir critiquer. Ce qui est d’ailleurs le rôle de l’artiste. L’animation permet ainsi à Katrin Rothe de montrer, au-delà des personnages principaux, les silhouettes sombres des révolutionnaires et des squelettes formant les décors, vides, de plus en plus froids, sombre. L’utilisation des prises de vues permet aussi de mettre en perspective ce qui est raconté : c’est un travail de recherche, de reconstitution narrative qui a conduit au film. Cela donne au travail d’historien du film un côté beaucoup plus intuitif qu’une thèse abstraite et conceptuelle.
The Man who knew 75 languages (Norv./Pol., de Anne MAGNUSSEN, Pawel DEBSKI)
La coproduction norvégienne/polonaise/lituanienne (oui, c’était possible!), The Man who knew 75 languages, est une œuvre aussi fascinante. Mélangeant prises de vues réelles et animation, le film raconte l’histoire vraie de Georg Sauerwein. Né allemand durant la première moitié du 19e siècle, il passera sa vie à se battre pour la protection des patrimoines culturels et linguistiques dans toutes les régions d’Europe. Doté d’une capacité d’apprentissage des langues hors norme, il sera notamment le tuteur de celle qui deviendra la première reine de Roumanie et avec qui l’histoire d’amour constituera le fil rouge tenant le récit. L’intérêt du film étant bien entendu ailleurs, dans son discours politique, du droit à l’identité, aux racines, qui trouve un écho de nos jours. L’Europe de cette période est déchirée par les guerres permanentes qui vont conduire à la formation de nouveaux États et des frontières contemporaines.
Les prises de vues réelles renforce cet aspect : les châteaux, les plaines, ce n’est pas une reconstitution avec des dessins, ce sont de vrais lieux, de vrais personnages : ce sont des faits, palpables. Seul regret, le fait que le film ne dure qu’une heure, donnant un côté anecdotique à certaines scènes – comme l’écriteau au début qui précise qu’il fut le premier à réaliser un dictionnaire anglais/turc. La vie de cet homme mériterait une œuvre encore plus ambitieuse. Sa biographie, que le film adapte en partie, n’est malheureusement disponible ni en français, ni en anglais…
Si la probabilité de pouvoir voir ces deux films dans les salles françaises est faible, il nous semblait intéressant de mettre en avant ces projets à la fois si différents au premier abord, mais très proche en réalité, en vous encourageant vivement à vous intéresser aux sujets portés par ces films.