A l’occasion du festival Hallucinations Collectives, nous avons pu rencontrer le réalisateur Fabrice Du Welz, à l’origine de Calvaire (2004), Vinyan (2007) ainsi que d’Alleluia (2015). Il revient en 2017 avec son premier film en anglais, Message From the King, reparti avec le Grand prix des Hallucinations Collectives, avec dans le rôle titre Chadwick Boseman (Black Panther). Nous lui avons posé quelques questions sur son parcours et sa conception de son rôle de réalisateur.
Bonjour Fabrice Du Welz ! De quelle manière avez-vous découvert le cinéma ?
Durant l’enfance. Je regardais les films à la télévision, je me suis toujours projeté là dedans, je me suis toujours vu travailler là dedans… Il se trouve que très tôt j’ai été mis en pensionnat, dans un pensionnat catholique. C’était l’époque de la VHS. Ma mère me permettait de louer des VHS quand je rentrais le week-end. Je suis vraiment tomber en fascination pour ces jaquettes de ces VHS, qui m’ont vraiment interpellé. Surtout l’imagerie du cinéma d’horreur : les visuels de ces jaquettes me fascinaient, c’est la représentation de ces monstres, de ces femmes, de toute cette hémoglobine, de cette tension sexuelle, me plaisait énormément, me ravisait même. J’avais envie de découvrir. C’est comme ça que j’ai découvert beaucoup de films, de films d’horreurs, et beaucoup d’autre après.
Comment avez vous su que vous alliez consacrer votre vie au cinéma ?
Je pourrais pas le dater, mais j’ai très vite vu que je voulais faire des films. J’ai souvent pensé quand j’étais jeune adolescent que j’allais être acteur – d’ailleurs j’ai fait des études de comédiens, parce que je ne comprenais pas vraiment la différence entre la technique et le jeu, pour moi c’était une espèce d’entité. Mais très vite quand j’ai fait le conservatoire j’ai compris que je n’étais pas forcément à ma place, et que je préférais porter les projets, avec mes copains. Dès l’adolescence, d’ailleurs, je faisais des films en Super 8 avec mes potes, que je montais. On allait dans les bois, on faisait des trucs… On s’amusait. C’était très ludique, très joyeux. J’ai toujours vu la fabrication des films comme un moment très joyeux.
Comment est-ce que vous définiriez votre parcours dans le milieu ?
C’est pas à moi de le définir en fait, je fais ce que je peux. J’essaie d’avoir une constance, une cohérence artistique, en même temps en essayant de faire le grand écart entre des films personnels et des films de commande, en essayant de jouer avec le diktat du cinéma : c’est une industrie commerciale, donc il faut absolument trouver un public… trouver un moyen de faire gagner de l’argent aux gens. C’est une industrie. Avant tout.
Qu’est ce que vous diriez à un jeune qui voudrait consacrer sa vie au cinéma ?
Il faut donner sans compter, et d’essayer d’avoir le plus de personnalité, en tout cas que ses films aient le plus de personnalité possible, qu’ils reflètent de sa personnalité. Essayer d’être le plus engagé possible dans son combat artistique, dans sa vision, de ne jamais abandonner ses rêves d’enfant. Être à la hauteur de ses propres exigences. C’est un métier très difficile où tout le monde essaye toujours de te faire plier à sa volonté. C’est parfois compliqué de tenir sa propre volonté, il faut avoir une espèce de folie douce pour pouvoir vraiment mener à bien un projet. Il faut être très sûr de soi, et en même temps être très perméable aux autres. C’est une combinaison d’extrême audace et d’extrême humilité, en fait. Je lui dirais d’avoir le plus de personnalité, et qu’elle irrigue le plus possible ses films.
Quel élément faut-il soigner tout particulièrement selon vous lorsqu’on réalise un film ?
C’est un tout, une globalité, on peut rien privilégier, mais j’ai appris après 5 films que l’histoire est fondamentale, et l’incarnation, les comédiens… En fait on pardonne tout à un film quand les comédiens sont bons. Un jeune réalisateur ne doit absolument pas avoir peur des comédiens, et doit apprendre avec les comédiens, apprendre ce que c’est qu’un comédien, doit apprendre à travailler avec un comédien, doit apprendre à passionner un comédien… Alors bien sûr c’est un art formel, donc il est très important d’avoir un œil, un sens du découpage, d’avoir le rythme, d’avoir un sens de l’équipe, être un capitaine de bateau, mais c’est encore plus important de pouvoir investir complètements des comédiens, de passionner des comédiens.
Quelle est la première chose qui vous pousse à réaliser un film plutôt qu’un autre ?
Je saurais pas dire, c’est l’instinct, la petite voix intérieure… ça s’impose à moi. Ce n’est pas quelque chose que j’intellectualise. Alors, il y a parfois des films de commande, ou des choses qu’on m’apporte, que j’aime, mais tout de suite il y a un processus presque viscéral, presque physique. Je réponds physiquement au sujet.
Qu’est ce qui vous permet de trouver (ou retrouver) l’inspiration, la motivation de travailler sur un film ?
On ne peut pas faire autrement, en tout cas moi en ce qui me concerne, que travailler énormément en amont. Pendant, après, je suis traversé par des idées, par du travail, une volonté. C’est pratiquement existentiel. Je travaille sur les films parce que je peux rien faire d’autre. J’aime profondément ça. C’est ce qui m’aide à vivre.
Quel conseil vous seriez vous donné lorsque vous avez commencé à réaliser des films ?
Jamais lâcher. Faut rien lâcher. Il faut pouvoir être attentif aux réflexions des autres. A mon avis, il faut pouvoir entendre ce que les gens disent autour de soi, mais il faut aller au bout de soi-même. C’est la chose la plus importante quand on est réalisateur.
Un dernier mot : Citez un film que vous conseilleriez à un jeune ? (un classique incontournable, un film qui vous a beaucoup influencé, que vous auriez voulu voir plus tôt, un coup de coeur…)
Il y a beaucoup, beaucoup de films qui m’ont influencé. Il y a beaucoup de films qu’il faut voir. Quand on veut faire ce métier, il faut voir énormément de films : des années 30, des années 50, des années 70, des années 90… Il faut voir en arrière. Il faut même fonctionner par thématique. Il y a des gens incontournables : Fritz Lang, Hitchcock, Friedkin, Bergman… des gens dont il faut voir tout le travail. Après, ça dépend des décennies qu’on passe. C’est sûr qu’à 20 ans, on voit pas les films de Bergman comme on les voit à 40, à 50 ans. Je pense qu’il faut démarrer par un film-matrice. Un film qui nous a donné envie de faire du cinéma. Sur cette base là, il faut chercher autour de ce film ce qui peut nous nourrir en temps que cinéaste. Moi j’ai énormément de films de références, j’aime profondément le cinéma, j’ai vu beaucoup de films et j’en ai encore à voir. Je pourrais parler de Hitchcock, je pourrais parler de La Nuit du chasseur de Charles Laughton, je pourrais parler de beaucoup de films. Quelqu’un qui veut faire de la comédie va commencer par un film important de la comédie, un Billy Wilder, ou je sais pas qui, et va chercher autour de ce film, va se nourrir autour de ce film, pour constituer son œil et sa dextérité de réalisateur. Mais je pourrais pas donner un titre comme ça parce que je vais en exclure plein d’autres, et j’ai un amour pathologique du cinéma. Donc, c’est difficile.
Merci à Fabrice du Welz pour son temps et aux équipes des Hallucinations Collectives. Message from the King sort en salle aujourd’hui.