Josep – L’Histoire animée

Josep, sorti en septembre dernier, est le premier film du réalisateur Aurel. La spécificité de ce long-métrage ? Il s’agit d’un film d’animation dont l’essence même est historique tandis que ses nationalités sont multiples – à savoir française, espagnole et belge – homogénéité que l’on retrouve dans les doublures des personnages qui sont aussi bien françaises qu’espagnoles, dualité du langage péremptoire.

Le synopsis de ce dessin animé aurait pu être simple : un grand-père – Serge – sur le point de mourir narre son histoire de gendarme durant l’année 1939 à son petit-fils. Mais la singularité apparait dès les premières minutes du long-métrage. En effet, 1939 ne correspond pas seulement au début de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi, et surtout, au mois de février qui est frappé par l’exil d’espagnols Républicains vers la France, souhaitant ainsi fuir la dictature franquiste annexant le pays. Serge, ce gendarme français, victime de sa situation, ne doit pas seulement observer cette situation dramatique, mais il devient aussi contre son gré acteur de cette infamie. Parmi tous ces « rouges », le regard accablé de Serge se fixe sur des mains dansantes, créant à même le sol des représentations de visages. Josep, Républicain, mais surtout dessinateur de talent, retrouvé emprisonné loin de sa fiancée.

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Yves – Critique d’un monde technologique

La question de l’intelligence artificielle est plus que jamais d’actualité et le fait de savoir si elle risque de s’immiscer dans notre quotidien fait d’autant plus débat. Pourtant Jerem (interprété par William Leghbil) accepte sous son toit cette intelligence, qui d’une manière effrayante, surpasse l’humanité. Ce n’est cependant pas un robot doté de pouvoirs mais bel et bien un réfrigérateur, dénommé Yves. C’est parce que Jerem a un profil atypique, rappeur raté qui vit dans la maison de sa grand-mère, que So (Doria Tilller) lui propose d’être le testeur d’Yves. Il s’avère que le chanteur accepte uniquement Yves pour une raison qui correspond bien à son caractère de « flemmard » : Yves commande les repas qui sont ensuite livrés tout simplement et gratuitement. Continuer la lecture de « Yves – Critique d’un monde technologique »

Synonymes – Mise à nu poétique dans un Paris grisâtre

Nadav Lapid n’est pas un jeune réalisateur, même si Synonymes n’est que son troisième film – et celui-ci prend des accents très autobiographiques puisqu’il s’inspire de sa propre arrivée à Paris, au début des années 2000, fuyant son pays d’origine – Israël – pour un ensemble de raisons qu’on trouve exaltées dans un film de 2h03 absolument dantesque.

Synonymes pourrait donc être compris comme un film très personnel, aux accents poétiques marqués – le verbe est très étudié, et le texte est magnifié par un groupe d’acteurs inspirés (Tom Holland, Louise Chevillotte et Quentin Dolmaire – qu’on ne voit pas assez depuis le chef d’œuvre de Desplechin Trois Souvenirs de ma Jeunesse). C’est véritablement un ressenti que cherche à transmettre Lapid : celui d’un jeune homme perdu, seul, dénudé (culturellement, linguistiquement… et littéralement au début du film), confronté à l’immensité d’une ville : Paris, un Paris aux teintes grisâtres et froides, un Paris aux trous dans le plafond. Pour s’intégrer, plus qu’une langue c’est aussi une démarche qu’apprend le personnage de Yoav : marcher vite, regarder ses pieds. Son grand manteau orange vif le fait ressortir dans le grisâtre parisien – comme un symbole iconique de son impossible intégration. Continuer la lecture de « Synonymes – Mise à nu poétique dans un Paris grisâtre »

Climax – Comme un éternel recommencement

Saisir l’apocalypse, la destruction – le chaos, et dans un même mouvement la synergie, l’esprit de le groupe. Comprendre comment cela s’articule, échoue, s’essouffle mais reprend, recommence, ne s’achève jamais. C’est notre fascination morbide envers notre propre destruction – celle de nos corps et de nos vies. Le dernier film de Gaspard Noé est la somme d’un chemin parcouru : celui d’un génie pour certains, d’un petit malin pour les autres. Force est de constater que la proposition qu’est Climax est un coup de force, le moment de rupture qui fait basculer la culture du provoquant, du sordide, dans l’ambition, la maîtrise. Derrière le mystère qu’il pratique – le synopsis du film particulièrement vague, la bande annonce obscure – Noé propose ainsi un véritable projet, concret. Pour en profiter pleinement, il faut en limiter la connaissance préalable, mais comment le comprendre sans avoir toutes les clefs d’une œuvre difficile d’accès ? Il faut reprendre l’objet et le décortiquer. Continuer la lecture de « Climax – Comme un éternel recommencement »

Mademoiselle de Joncquières – Un bien cruel roman

Madame de La Pommeraye (Cécile de France) accueille son ami le Marquis des Arcis (Edouard Baer) dans sa maison pour quelques temps. Connu pour son libertinage, le Marquis s’enfuit dès qu’il a pu conquérir le cœur de la jolie veuve. Désormais brisée, madame de La Pommeraye décide de se venger. Au cœur du dispositif, une jeune femme, Mademoiselle de Joncquières (Alice Isaaz)… Si l’on connaissait ses élans romantiques (comprendre, influencé par les romans, la littérature), Emmanuel Mouret propose pour son nouveau film une adaptation d’un conte philosophique de Denis Diderot. C’est peu dire qu’on retiendra la leçon. L’essence cruelle du film repose sur l’immoralité constante de ses personnages et sur l’inversion subtile de la situation initiale tout au long dudéroulement. Si un temps, on ne peut qu’éprouver de l’affection pour le personnage de Cécile de France, elle se transforme, devient un monstre, dont toute fragilité semble avoir disparue. Elle ne subsistera qu’un instant,dans une tasse tremblotante. De même, le personnage d’Edouard Baer, sans doute l’incarnation la plus parfaite du libertin du XVIIe siècle, finit par muter, le poussant dans des registres dans lesquels on ne le voit pas assez souvent.

Chose passionnante, derrière cette cruauté donc, c’est le plaisir jouissif de voir le bon déroulement d’une vengeance huilée et préparée – alors qu’il s’agit à l’évidence d’une volonté égoïste, irrationnelle. La résolution ne peut être qu’un mauvais tour d’origine divine (on fait explicitement allusion au châtiment divin, à la punition, à la fatalité transcendante). Nous éprouvons le plaisir de lacomplicité. Le spectateur, qui suit principalement le personnage de Madame de La Pommeraye, ne comprend que tardivement la folie dans laquelle elle est en train de sombrer. Ce spectateur comprend très vite que tout le monde joue un double jeu, pas juste le Marquis qui, en bon libertin, ment comme il respire. Une séquence particulièrement évocatrice de ce phénomène : un dîner réunissant les principaux protagonistes, dans lequel le Marquis arrive et mime la surprise en rencontrant enfin la mademoiselle de Joncquières. Or, quelques secondes plus tôt, on apprenait lors d’une confidence quemadame de La Pommeraye se joue de son ancien amant en lui faisant croire qu’elle souhaitait qu’il puisse rencontrer cette même jeune femme…

Derrière les masques – et les costumes – ce sont donc les déceptions qui animent les personnages : les malheurs de son passé que dissimule Mademoiselle de Joncquières, l’amour déçu de Madame de La Pommeraye, le libertinage du Maquis qui sera source de sa désillusion. La belle enveloppe est donc un verni d’une intrigue aux accents forcément modernes, parce que détenant une part d’universalité : c’est une tragédie des sentiments. Le spectateur, dans la tradition du conte philosophique, se retrouve au final avec la lourde tâche de tirer des leçons de cette triste intrigue.

MADEMOISELLE DE JONCQUIÈRES de Emmanuel Mouret. Avec Cécile de France, Edouard Baer, Alice Isaac. En salle le 12 septembre 2018.

Dix pour cent : une perle à la française

L’été approche, malgré les révisions, et c’est pour ça que Le Film Jeune Lyonnais s’attache à passer en revue les séries qu’on vous conseille pour la plage, la montagne, ou simplement chez vous.

Me voilà à la recherche d’une série légère et loin des thrillers/drames et j’en passe que j’ai l’habitude de suivre sur Netflix. Mes amis me conseillent Dix pour cent et là, la crainte : une série française, quelle horreur ! Je décide de dépasser mes préjugés et me voilà plongée dans cette série de 12 épisodes d’environ 50 minutes répartis en 2 saisons. Les épisodes passent et je ne m’arrête plus : les épisodes sont longs mais jamais longuets, l’intrigue est simple, mais jamais simpliste.

Tout tourne autour d’une agence d’artistes parisienne et de ses salariés, tous plus atypiques les uns que les autres. Chacun, par ses traits particuliers, apporte sa pierre à l’édifice venant rendre plus palpitante et habiller la présence de véritables célébrités françaises, cette dernière venant donner originalité et aplomb à la série. Au fil des épisodes, chaque personnage se dévoile et présente les traits types du commun des mortels : jalousie, possessivité, envie, courage, amour, mauvaise foi, opportunisme, égocentrisme, regrets… et j’en passe. Les faiblesses de chacun nous offrent une palette de personnages attachants, nous donnant envie de poursuivre l’aventure et de découvrir leur devenir.

Dix pour cent, c’est aussi une série qui milite à sa façon. Je vous laisserais découvrir par vous-même ce que j’entends par là, et vous recommande largement la série si vous souhaitez quelque chose de léger, touchant, drôle sans pour autant vous prendre le chou avec une série en VOST ou une version française mal doublée. Dix pour cent vous entraîne dans l’envers du décor du show business avec des rebondissements qui vous donneront (peut-être) envie de toucher au monde des agents.

Dix pour cent (saison 1 et 2 disponibles), créée par Fanny Herrero, d’après une idée originale de Dominique Besnehard, Michel Vereecken, Julien Messemackers

La série a été créée et est co-réalisée par Cédric Klapisch, que nous avions rencontré l’année dernière à l’occasion de la sortie Ce qui nous lie :

Interview de Cédric Klapisch (Ce qui nous lie, L’Auberge espagnole, Le Péril Jeune,…)