Sans connaître son nom, ses photos étaient gravées dans nos mémoires. C’est sur ce constat que s’ouvre le nouveau documentaire de Mariana Otero, pour laquelle nous avions déjà évoqué notre affection à propos de son passionnant film sur le mouvement Nuit Debout, L’Assemblée, en 2017. Comme par un mécanisme inverse, toute la distance silencieuse mise en place par la réalisatrice pour saisir ce qu’a été Nuit Debout est écartée. Remplaçant cette sorte de neutralité, c’est elle-même que la réalisatrice filme : le point de départ, c’est sa découverte de Gilles Caron, célèbre photographe des années 1960, ayant disparu au Cambodge en 1970.
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Sympathie pour le diable – Le feu de Sarajevo
Basé sur l’histoire vraie de Paul Marchand, reporter de guerre lors du siège de Sarajevo en 1992, Sympathie pour le diable vient dessiner un portrait hors-norme d’un journaliste engagé, luttant contre le silence et face au cauchemar. Dans sa quête de la vérité, il semble devoir sortir d’un devoir de distance en allant lui-même tâter les cadavres du jour, les compter, souligner de manière provocatrice le manque de rigueur de ses collègues dans leur calcul. Derrière ce geste très fort, il se positionne autant que comme informateur que comme témoin : il a vu, il a compté, il a touché de ses mains les trente-trois morts du jours. Continuer la lecture de « Sympathie pour le diable – Le feu de Sarajevo »
Les Hirondelles de Kaboul – Le chant des hirondelles restées libres
Y’a-t-il déjà eu un Kaboul libre ? C’est en exergue ce qui ressort de conversations croisées au fil des Hirondelles de Kaboul, long-métrage d’animation réalisé par Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec. Un Kaboul en ruine, ravagé par la guerre, devenu le quotidien de ces familles, de ces enfants, de ces groupes d’hommes. Ces derniers s’amassent sur les places publiques pour assister – et participer – à une lapidation, devenue un spectacle de rue comme un autre. Les plus âgés se souviennent de la guerre contre l’Union Soviétique – même les plus anciens se souviennent qu’avant, c’était déjà la guerre. La paix et la liberté semblent des souvenirs lointains, un rêve entraperçu en passant devant de vieux bâtiments. Des traces ont survécu : cette librairie, ce « cinéma/théâtre », ou cette université dont on traverse les restes, comme des témoignages de ce qui a été, comme des témoignages de ce qui aurait pu être. Ce ton, ces accents que prend le film se retrouve dans son esthétique : cette peinture à l’aquarelle vient évoquer un souvenir, un trait doux où il manque quelque chose, l’espace n’est pas parfaitement rempli. Le dessin a quelque chose d’aérien. Continuer la lecture de « Les Hirondelles de Kaboul – Le chant des hirondelles restées libres »
Outlaw King – Une épopée costumée inégale
Un film Netflix avec des visages familiers
Ça y est, depuis quelques temps Netflix produit des films aux budgets plutôt conséquents (120 millions de dollars pour celui-ci). C’est tellement surprenant et inhabituels que l’envie de regarder Le Roi hors-la-loi m’est venue en voyant une publicité du fameux service de streaming sur un réseau social bien connu. Je décide alors de tenter, m’attendant à une série dans le genre de Game of Thrones ou Viking, qui s’appuient sur cette mythologie et histoire anglo-saxone médiévales. Finalement, je me rends compte que c’est un film : au final il n’y a que sur la durée et le format que je me serai trompé, le reste est exact.
Si vous êtes un spectateur assidu de Game of Thrones vous reconnaîtrez facilement les visages de James Cosmo (Robert de Bruce Sr. ; Jeor Mormont dans GoT) et Stephen Dilliane (Edouard Ier d’Angleterre ; Stannis Baratheon dans GoT) qui reprennent leurs rôles respectifs de père protecteur et de roi de fer impitoyable. Continuer la lecture de « Outlaw King – Une épopée costumée inégale »
[Annecy 2017] Dans un recoin de ce monde de Sunao Katabuchi
Prix du Jury – Annecy 2017
Le cinéma japonais regorge d’œuvres traitant du traumatisme de la seconde guerre mondiale, et dans l’animation particulièrement. On redira l’importance de voir Le Tombeau des Lucioles d’Isao Takahata, traité pacifiste d’une justesse inouïe, œuvre bouleversante, horrible, mais au combien nécessaire. Le film de Sunao Katabuchi ne pouvait que souffrir de la comparaison. Ironiquement, c’est un ancien de Ghibli. D’abord storyboarder, il n’a depuis 2002 réalisé que trois films : Princess Arete (2002), Mai Mai Miracle (2009) et Dans un recoin de ce monde (2017), ce dernier ayant été particulièrement bien reçu par la presse japonaise. L’histoire de cette jeune fille – Suzu – un peu simplette parfois, confrontée à la guerre, n’est pas exempte de défauts.
On ne peut pas nier que c’est un film critiquable sur le fond. En effet, si le public japonais ne pouvait pas faire ce reproche au film, le public européen doit le rappeler. Lorsque le film donne une vision idéaliste de la situation des civils durant la guerre, c’est une lecture orientée : le film d’Isao Takahata le montre. Lorsque, dans le film, la police arrête Suzu parce qu’elle faisait des dessins de bateaux militaires et donc de l’espionnage, on ne peut pas en rire derrière (« elle est pas assez maline pour être une espionne ! », disent-ils). De la même manière, la fougue nationaliste cachée par les beaux atours du film n’est pas quelque chose de rassurant. La politique de colonisation menée par l’État japonais durant la première moitié du 20e est passée sous silence… Toutes les horreurs arrivant au Japon sont la faute des américains : ce n’est pas totalement faux, ni totalement vrai. Aucune guerre ne peut se targuer d’être parfaitement propre. La guerre est un état où personne n’est tout blanc, tout noir.
Mais au-delà de ces soucis qui limitent la portée universelle du récit en l’ancrant profondément dans la logique politique contemporaine du Japon (un retour du nationalisme), on ne peut nier que le film remue. Il remue, il marque profondément. La direction artistique est superbe, le sujet est difficile et le film s’en sort bien. La dernière partie est ainsi beaucoup plus sombre (1944-1945), plus violente. Il reste difficile de sortir totalement indemne du film. Le personnage de Suzu donne ainsi une véritable leçon de courage, quelque chose de respectable dans la mesure où peu d’œuvres ont traité le sujet de cette manière. Le titre, Dans un recoin de ce monde, reflète bien de cette idée : ce comportement reste marginal, associé à un « recoin », un morceau, un angle. Comprendre, un petit espace de verdure, dans la noirceur de ce monde.
Sortie en salle prévue le 13 septembre 2017