Suite de notre entretien avec Karin Ramette et Simon Lehingue, qui représentaient lors de leur passage à Lyon en septembre dernier l’équipe de l’Association pour le Cinéma Indépendant et sa Diffusion (ACID). Pour lire la première partie :
Vous disiez que votre public cannois était fondamentalement composé par les distributeurs, les exploitants, à la recherche de films à programmer. Dans ce cas-là, pourquoi organiser des événements pour le public cinéphile comme au Comoedia ?
K.R. : Ce n’est pas pareil. Quand on est au Festival de Cannes, on est sur les premières projections de ces films-là. Comme le disait Simon, le but, c’est de favoriser la diffusion de ces films en salle. La première stratégie est alors de faire en sorte que les programmateurs, les exploitants, puissent les voir, et les voir dans de bonnes conditions. Cannes est un enjeu important à cet endroit-là, car dans nos spectateurs, on aura l’exploitant de salle de cinéma. Après, le but, c’est qu’il soit programmé. L’exploitant a vu le film, il s’en empare, il le programme. L’idée de venir ici, au Comoedia, c’est la continuation de ce travail là : d’aller à la rencontre du public et d’activer le bouche à oreille. On présente dix films, et sur ces dix films, huit sont en avant première. Le fait de projeter ces films en avant-première avec ces discutions, ces échanges à la fin, c’est une manière de démarrer un bouche à oreille, à Lyon et dans les environs. On espère que ce bouche à oreille sera réactivé lors de la sortie nationale. Là, on est à la deuxième étape, mais il est important aussi qu’à Cannes les exploitants puissent voir les films, très en amont.
Aujourd’hui, on constate une multiplication des moyens de voir les films. De la même manière, il y a de plus en plus de films produits, réalisés, et cela devient de plus en plus difficile d’exister, d’être programmé, même à Cannes. Pourquoi ne pas vous tourner vers ces nouveaux moyens – citons Netflix – pour donner un moyen de médiatiser, de faire exister ces films qui parfois des difficultés à exister en salle ?
S.L. : C’est une bonne question…Mais l’endroit de l’ACID, c’est la salle.
K.R. : Oui, et je peux ajouter quelque chose : la plateforme, ça ne fonctionne – et ce n’est pas moi qui le dit mais ce sont les gens qui font fonctionner ces plateformes – que quand il y a déjà eu un bouche à oreille, quelque chose qui se passe avec la salle.
S.L. : Tout à fait.
K.R. : Si vous voulez qu’un film génère du téléchargement, des visionnages, il faut qu’il y ait eu quelque chose avant, une médiatisation. Ça passe par la salle.
S.L. : Pas mal de gens ont tenté des sorties directement en VOD, et c’était ultra bancal. Netflix c’est autre chose, c’est de la SVOD [Service de vidéo à la demande, ndlr] par abonnement. Il y en a d’autres comme Mubi, qui fonctionnent sur un réseau cinéphile (avec un film par jour qui rentre, un film par jour qui sort et toujours trente films en ligne), à 4€ par mois, ça marche, mais sur un réseau cinéphile, ils n’ont pas un pouvoir d’expansion énorme. Les sorties directement en VOD, en paiement à l’acte, ça a marché pour les films faisant un buzz, faisant beaucoup de promotion, type Abel Ferrara avec Welcome to New York, sur l’affaire DSK, qui a fait 700 000 achats. Mais c’est ponctuel. Il n’est pas trouvé en fait, le modèle économique. Bien sûr que les pratiques ont changé, mais comment faire exister des films si l’on ne passe pas d’abord par des structures solides, les salles, et la communication par la presse.
K.R. : On parle en l’occurrence de cinéastes qui n’ont pas encore de notoriété. Pourquoi est-ce que quelqu’un chercherait à voir ce film sur le net, ou sur une plateforme ? Alors quand c’est par abonnement, je peux faire confiance à la ligne éditoriale, être curieux – c’est une démarche très cinéphile d’ailleurs.
S.L. : J’ai un exemple : j’ai vu un film d’horreur iranien à La-Roche-Sur-Lyon [Under the Shadow, de Babak Anvari, nldr], l’année dernière. Je m’étais demandé qui allait l’acheter. C’était incroyable, il fallait que ça soit vu. Et c’est Netflix qui l’a acheté. Du coup, personne ne l’a vu, personne ne connaît ce film. Sauf qu’en fait, ils ont mis beaucoup d’argent sur la table. Le producteur était coincé : oui, le film serait peu connu, ce sera difficile de financer le prochain, mais… Netflix qui pose une somme, ça fait plaisir, mais il y a toujours le regret que l’écrin de la salle n’ait pas été là.
Là, c’était peut-être un moyen pour Netflix de parler aux spectateurs cinéphiles, qui auront ouïe dire du bien de ce film ?
S.L. : C’est aussi parce qu’ils ont besoin d’avoir un gros catalogue ! Ils ont besoin d’énormément d’offre pour justifier les abonnements, faire de la com.
En quelques mots, qu’est ce que vous diriez sur la sélection 2017 de l’ACID ? Un film qui vous a marqué particulièrement ? Mettre en avant un faux-fil directeur ?
S.L. : Je pense que ce sont des formes très libres. c’est bateau dit comme ça, mais il y a six films français (c’est un critère de l’ACID). Tout le système des commissions du CNC, du lissage des scénarios, des ré-écritures, des financements très serrés et justifiés, étouffent un peu la création. Ça se voit d’ailleurs, il y a des gens qui font des premiers films, on dirait que c’est leur huitième ! Le propre des films français de l’ACID cette année, c’est qu’ils ont tous trouvé une forme contournant ce système pour tourner plus vite, avec plus de liberté. Il y a cet aspect d’hybridation entre documentaire et fiction très claire, parce que quand on a moins d’argent, on doit travailler avec le réel, d’y introduire de la fiction… Avec des scénarios peu écrit, d’autres formes d’écritures. Les films sont assez différents les uns des autres, mais s’il y a une ligne directrice, ce serait celle-là. Le réel fait toujours effraction dans la fiction et inversement. Ça donne des formes inhabituelles pour le spectateur, mais pas difficiles pour autant. Ce ne sont pas des films exigeants plastiquement.
K.R. : Après il y a quelque chose qu’on dit beaucoup, c’est qu’il y a une forme d’éclectisme. C’est le reflet de la sensibilité des réalisateurs qui ont fait la programmation. On a des gens qui viennent de la fiction, du documentaire, d’une forme hybride… Certains en sont à leur cinquième long-métrage, d’autres viennent de finir leur premier long. Les parcours sont extrêmement divers et les sensibilités sont très diverses. C’est vraiment comment accorder toutes ces sensibilités pour une programmation, dans laquelle chacun y trouve aussi quelque chose. C’est toute la beauté de la chose. Malgré toutes ces personnalités, toutes ces sensibilités de cinéma différentes, on arrive chaque année à produire une programmation cohérente. Ce qui est très drôle, c’est qu’au fil des années, on se rend compte qu’il y a malgré nous un fil directeur. Une année, il y avait un intérêt pour la marge, dans tous les films il y avait quelque chose ou quelqu’un à la marge.
Parce que l’ACID est un peu le reflet du monde ?
K.R. : D’une certaine façon ? C’est un regard sur le monde en tout cas, à un instant T.
Un film à voir impérativement dans la sélection, par préférence personnelle ?
K.R. : C’est difficile, ils méritent tous d’être vu. Ils ont tous un intérêt différent.
S.L. : Moi je réponds Sans Adieu. C’est un chef d’œuvre. En fait, le plus beau film de l’année.
K.R. : J’aime beaucoup Sans Adieu aussi.
Encore merci à l’équipe de l’ACID de nous avoir consacré du temps et aux équipes du Comoedia pour nous avoir accueilli ! Encore en salle : Le rire de madame Lin, soutenu par l’ACID en 2017.