Cannes 2018 – Capharnaüm : le coup de cœur de cette édition ?

Prix du Jury – Cannes 2018

On en parlait depuis quelques jours, Gaumont ayant acheté le film cher en espérant une présence au palmarès du nouveau Nadine Labaki. Sa présentation cannoise n’aura pas déçue, l’émotion ayant été forte et les espoirs d’une potentielle Palme d’or énormes. Continuer la lecture de « Cannes 2018 – Capharnaüm : le coup de cœur de cette édition ? »

Les Filles d’Avril – L’insoutenable légèreté morale des relations mères-filles

On pourrait dire, par euphémisme, que Michel Franco est un petit comique. En effet, son goût prononcé pour la cruauté donne à son travail une dimension proprement fascinante, quasi humoristique. Un humour noir, bien entendu, très noir. Ainsi, après avoir été remarqué pour son Después de Lucía en 2012 (Prix Un certain regard à Cannes) puis pour son Chronic en 2015 (Prix du scénario à Cannes), il revient avec son Las hijas de Abril, Les Filles d’Avril, dans lequel le réalisateur retourne au Mexique après son détour aux États-Unis. Avril vit loin de ses deux filles, mais elle revient vivre avec elle lorsque que la cadette de 17 ans, Valéria, est sur le point d’accoucher.

Là où Chronic prenait pour sujet la vieillesse, Les Filles d’Avril prend celui de la jeunesse. Mais l’intérêt réside de la manière dont il aborde ces sujets : toujours sous le même angle : celui de la perte. En effet, dans les deux films, les personnages « perdent » quelque chose de central pour eux. Dans Chronic, c’était la capacité de s’occuper de soi, comprendre sa dignité. Les longues séquences qui mettaient le spectateur dans des situations gênantes où Tim Roth, aide soignant, obligé de nettoyer ces personnes âgées ayant eu des « petits accidents », obligés d’être aidés pour prendre une douche… Autant de situation qu’on ne montre jamais, mais qui concernent tout le monde. Chronic, c’est un Amour en complaisant : jamais le spectateur n’éprouvait autre chose pour les personnages qu’un léger sentiment de honte mêlée à un malaise perpétuel. C’est à nouveau le cas de Les Filles d’Avril : dès le début du film, le spectateur se retrouve face à cette jeune fille de 17 ans, Valéria, enceinte de sept mois. Le fait qu’il n’est pas mis en évidence sa condition immédiatement joue aussi dans notre rapport au personnage (d’abord, on l’entend avoir un rapport sexuel, elle sort de sa chambre boire un verre d’eau mais le choix de l’angle nous empêche de voir son ventre, qui n’apparaît qu’après quelques minutes de film). Alors que pendant un temps, le film tendrait à illustrer de la difficulté d’avoir un enfant à cet âge, il s’avère se retourner complètement : la fille est dévorée par la mère.

On constate ainsi chez Franco une angoisse liée à la vieillesse. La jeunesse est sanctuarisée chez lui. Ce qu’on trouve dans la fin de Chronic (la vieillesse n’est que perte et assistanat, mais ironie noire, le personnage de Tim Roth ne l’atteindra « heureusement » jamais), on le retrouve aussi dans Les Filles d’Avril. Le personnage de Emma Suarez (immense actrice d’ailleurs!) revient aider sa fille à gérer un nouveau né alors qu’elle n’est elle-même qu’une adolescente. C’est alors pour le personnage d’Avril une occasion de revenir en arrière : là où elle avait le « même âge que Valéria » quand elle a eu Clara, l’aînée de ses deux filles, elle va pouvoir vivre cette naissance en tant que mère assumée, complète, confiante, expérimentée. Elle recherche alors rapidement sa jeunesse, justement, en prenant la place de sa fille. Elle devient envahissante : elle achète les vêtements du bébé, impose à sa fille et son compagnon de savoir où ils vont… La cruauté de Michel Franco est ici : la mère ne va pas juste prendre la place de mère de sa fille, bien pire, elle va essayer de l’effacer. Avril commence par faire retirer la garde de l’enfant au motif que Valéria ne serait pas assez mature pour élever un enfant (ce qui semble, en fait, logique). Puis, elle entretient une liaison avec le père du bébé (sans considération morale : différence d’âge, le fait qu’il couche avec la mère de sa copine… !), en s’habillant à nouveau comme une jeune femme d’une vingtaine d’années et en allant en boite… Pire, elle le fait sans regard pour sa fille, bouleversée, traumatisée par l’expérience (un bébé qu’on lui retire, son copain qui s’en va sans raison,…). Ces événements ne conduisent pas à une fin heureuse et morale, mais à une fin où Valéria aura certes mûri, mais où elle sera seule, à 17 ans, un bébé sur les bras. C’est, chez le réalisateur, une fin quasi-optimiste.

Les Filles d’Avril (2017), de Michel Franco, avec E. Suarez, A. Valeria Becerril, E. Arrizon. Sortie le 2 août 2017.

[Annecy 2017] Dans un recoin de ce monde de Sunao Katabuchi

Prix du Jury – Annecy 2017

Le cinéma japonais regorge d’œuvres traitant du traumatisme de la seconde guerre mondiale, et dans l’animation particulièrement. On redira l’importance de voir Le Tombeau des Lucioles d’Isao Takahata, traité pacifiste d’une justesse inouïe, œuvre bouleversante, horrible, mais au combien nécessaire. Le film de Sunao Katabuchi ne pouvait que souffrir de la comparaison. Ironiquement, c’est un ancien de Ghibli. D’abord storyboarder, il n’a depuis 2002 réalisé que trois films : Princess Arete (2002), Mai Mai Miracle (2009) et Dans un recoin de ce monde (2017), ce dernier ayant été particulièrement bien reçu par la presse japonaise. L’histoire de cette jeune fille – Suzu – un peu simplette parfois, confrontée à la guerre, n’est pas exempte de défauts.

On ne peut pas nier que c’est un film critiquable sur le fond. En effet, si le public japonais ne pouvait pas faire ce reproche au film, le public européen doit le rappeler. Lorsque le film donne une vision idéaliste de la situation des civils durant la guerre, c’est une lecture orientée : le film d’Isao Takahata le montre. Lorsque, dans le film, la police arrête Suzu parce qu’elle faisait des dessins de bateaux militaires et donc de l’espionnage, on ne peut pas en rire derrière (« elle est pas assez maline pour être une espionne ! », disent-ils). De la même manière, la fougue nationaliste cachée par les beaux atours du film n’est pas quelque chose de rassurant. La politique de colonisation menée par l’État japonais durant la première moitié du 20e est passée sous silence… Toutes les horreurs arrivant au Japon sont la faute des américains : ce n’est pas totalement faux, ni totalement vrai. Aucune guerre ne peut se targuer d’être parfaitement propre. La guerre est un état où personne n’est tout blanc, tout noir.

Mais au-delà de ces soucis qui limitent la portée universelle du récit en l’ancrant profondément dans la logique politique contemporaine du Japon (un retour du nationalisme), on ne peut nier que le film remue. Il remue, il marque profondément. La direction artistique est superbe, le sujet est difficile et le film s’en sort bien. La dernière partie est ainsi beaucoup plus sombre (1944-1945), plus violente. Il reste difficile de sortir totalement indemne du film. Le personnage de Suzu donne ainsi une véritable leçon de courage, quelque chose de respectable dans la mesure où peu d’œuvres ont traité le sujet de cette manière. Le titre, Dans un recoin de ce monde, reflète bien de cette idée : ce comportement reste marginal, associé à un « recoin », un morceau, un angle. Comprendre, un petit espace de verdure, dans la noirceur de ce monde.

Sortie en salle prévue le 13 septembre 2017