La Jetée – Histoire d’un instant

L’instant dans l’œuvre cinématographique, si l’on garde l’étymologie latine du mot instant, à savoir instans : ce qui est imminent, dérivé du verbe sto : être immobile, est alors pour moi l’image figée dans le déroulement filmé. Dans Le petit soldat (1963) de Jean-Luc Godard, le personnage de Bruno Forestier disait du cinéma : « La photographie cest la vérité. Et le cinéma cest vingt-quatre fois la vérité par seconde ». De cette phrase, nous ne retiendrons que la comparaison à la photographie. Le cinéma semble donc jumeau de la photographie en ce qu’il capte l’instant dans son mouvement. Il garde le déroulement au service de l’impression du temps par le spectateur. Je veux dire par là que l’image-mouvement mène à la conception de l’image-instant par le spectateur.

Le souvenir que j’ai de la vague du Finis Terrae (1929) de Jean Epstein, c’est celle d’un monde entre Ouessant et les pêcheurs de goémon, d’un monstre d’eau qui venait emprisonner Ambroise sur une île où le temps n’est que ce qu’il a. Le temps était ici allongé, je ne pouvais qu’attendre avec lui [Ambroise] que la mer se calme, que les vagues cessent, que le temps reprenne son cours une fois le vent levé. Capturer le mouvement de la mer revenait alors à saisir l’indompté, le sauvage, mais aussi le merveilleux que l’on peut percevoir face à cette étendue bleue infinie.

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Perdus dans l’espace – Aux confins épiques de la galaxie

Diffusée à partir d’avril 2018 sur Netflix, la série Perdus dans l’espace (Lost in Space en VO) a vu sa deuxième saison sortir pour Noël 2019. Nous avons donc pu retrouver pour notre plus grand plaisir la famille Robinson, le Dr Smith, Don West et la poule Debbie dans leurs aventures spatiales.

Remake d’une série de 3 saisons et 83 épisodes diffusée entre 1965 et 1968, ré-adaptée en film en 1998 (Lost in Space, de Stephen Hopkins, avec Gary Oldman et Matt LeBlanc), Perdus dans l’espace fait partie de ces œuvres trans-générationnelles, reprises et reprises sous différentes formes à travers les années. Continuer la lecture de « Perdus dans l’espace – Aux confins épiques de la galaxie »

Halte – La nuit précède le chaos

L’univers du cinéaste philippin Lav Diaz est principalement un univers sombre, baignant dans un clair-obscur irréaliste, où les personnages sont traversés par la fatalité de leur condition. Celle-ci s’avère souvent sociale et politique, Lav Diaz ayant à coeur d’ancrer son cinéma dans l’Histoire de son pays et de lui trouver des échos actuels en dépit de projets pouvant, au premier abord, surprendre le spectateur non préparé. Après sa comédie musicale La Saison du Diable l’année dernière, il revient ainsi avec Halte, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en mai dernier. Encore une fois, c’est un portrait de son pays qui se dessine tout au long de l’œuvre. Dirigé par un président fou se croyant divin, un régime autoritaire réprime son opposition par les armes et surveille sa population ravagée par une maladie mystérieuse. Le monde est plongé dans une nuit permanente comme pour marquer symboliquement la noirceur de cet avenir proche que nous montre le film. Continuer la lecture de « Halte – La nuit précède le chaos »

Valérian – Un fantastique et historique nanar cinéphile

L’échec de Besson

Son dernier film, Lucy, a été un énorme succès surprise en 2014. Cela lui permettait, le vent en poupe, de monter n’importe quel projet qu’il aurait eu alors à l’esprit. C’est sur une bande dessinée de science-fiction française que son choix s’est portée. On ne va pas s’attarder dessus dans la mesure où les enjeux et les problématiques liés à l’adaptation n’ont ici que peu d’importance. Il semble, de plus, que les auteurs de l’œuvre aient aimé le film.

Cependant cela ne suffit pas. Le mal est fait : Europa Corp, qui produit et distribue le film, misait sur son succès pour la réalisation de plusieurs suites. Ce qui n’arrivera sans doute pas. En effet, le film est un échec : le film n’a rapporté au 14 août que 90 millions de dollars au box office mondial pour un budget de presque 200 millions de dollars. Il faudrait ainsi que le film cartonne en Asie pour éviter la catastrophe.

Comment expliquer cet échec ? Le Besson Bashing, un sport historique dans la critique française, repose sur l’idée que Besson serait un incompétent qui ne sait rien faire de bien. Pourtant, il est à l’heure actuelle le seul réalisateur français à avoir su monter un tel projet, d’une telle envergure. De plus, son « incapacité » notoire lui permet de tourner. Uniquement parce qu’il fait gagner de l’argent ? Inexact. Parce qu’il est un bon réalisateur.

Besson au pied de la lettre

Qui est Besson ? Un enfant en fait. Un gamin un peu malin, un peu surprenant, bref, un jeune prodige qui sait comment le système fonctionne, comment l’exploiter, sans avoir des capacités au dessus de la moyenne. Luc Besson, c’est un peu un enfant précoce, ni plus, ni moins. Plus intéressant : il est libre. Depuis que ses films sont considérés comme cultes, aux États-Unis comme en Europe, il possède une capacité de financement énorme juste avec son nom. Des films comme Le Cinquième élément ou Léon, objectivement ridicules, barrés, sont en fait déjà des plaisirs personnels communicatifs pour Luc Besson. Connaissons-nous quelque chose de plus fou que Jean Reno capable de dormir assis sur un fauteuil et qui a pour seul ami une plante verte ? Et bien, Luc Besson l’a fait.

Le véritable reproche à lui faire désormais, c’est sa paresse. Depuis plusieurs films, notamment les Minimoys, on constate qu’il ne fait plus que des choses très conforme à ce qui se fait ailleurs, et notamment à Hollywood. Luc Besson n’ose pas (plus?) sortir des sentiers battus, de peur d’être rejeté par un système industriel qu’il a participé à modeler sans jamais y avoir été accepté. Le petit « frenchie » qui reste devant la porte du paradis hollywoodien. C’est bien dommage. Parce que malgré tout, ses remontées nanardesques restent de vraies plaisirs cinéphiles. Dans Lucy, quel intérêt d’avoir invité le coréen Choi Min-sik pour mener un gang de dealer de drogue, d’autant plus que le film se déroule à Taiwan ! La réponse : Luc Besson est aussi un cinéphile. Il accomplit ainsi un rêve que les fans de Old Boy, ou de J’ai rencontré le diable, font : celui de faire rentrer cet acteur dans une pièce pour lui faire trucider des gens, foutre du sang sur les murs pour des raisons pas beaucoup plus profondes que « gna gna, je suis un méchant ultra-violent ». On avait, d’ailleurs, le même méchant dans Léon, mais incarné par Gary Oldman, en flic ripoux tueur d’enfant. Il manque alors chez Besson d’une véritable capacité de ré-invention.

Et Valérian dans tout ça ? On garde la même logique, et on recommence avec beaucoup d’argent : la présence de Rihanna (et, moins médiatique, de l’excellent Ethan Hawke!), ayant été largement utilisée lors de la communication autour du film, mais qui se limite finalement à 3 scènes… L’influence de d’autres films de science-fiction aussi, qui donne parfois un sentiment de déjà vu, ou de référence perpétuelle un peu perturbant (la voix du héros qui fait penser à celle de Néo dans Matrix, les vaisseaux qui évoquent Star Wars,…). L’ironie, c’est que tout cela n’est pas juste un mix-SF de fanboy. C’est justement Valérian, et plus largement la science fiction française qui avait inventé tout ce sur quoi Hollywood se reposera pendant les années 1970. C’est, en réalité, un retour aux sources. Le message à Hollywood est clair : vous nous avez pillé de notre culture, vous avez pris Mézières et Christin, vous avez pris Möbius, mais qu’importe. Nous aussi, on peut faire comme vous. C’est mal joué, mal écrit, un peu débile, moralement douteux (même si c’est vrai que l’amour est plus fort que le droit international)… C’est tout comme un film hollywoodien. Bravo Luc, chapeau bas.

Mais encore une fois le film est un échec : la presse américaine a démoli le film avant sa sortie, sans doute par peur d’une fuite des investissements, notamment chinois, vers la France, devenue plus accueillante (rassurante?) que le pays de Donald Trump. La presse française l’a froidement reçue, mais après tout, le film n’est pas très bon non plus. Seule l’Asie, et la Chine surtout, peuvent sauver du naufrage la quête bessonienne. Et si la Chine sauve Besson, nous rentrerons dans une nouvelle ère, dans laquelle les États-Unis ne font plus la pluie et le beau temps cinématographique. Ce sera, alors, une véritable révolution.

Article en réponse à la critique de Pierre Triollier
Valérian et la Cité des milles planètes (2017), de Luc Besson, avec D. DeHaan, C. Delevingne, C. Owen. Sortie le 26 juillet 2017.

Valérian : la cité des mille déceptions

Un effort industriel sans précédents

C’est incontestablement un film qui a été pensé pour faire rêver, pour transporter le spectateur ailleurs. Il faut dire que l’effort visuel, au niveau des décors, des costumes, de la conception des personnages animés, est considérable et relève de quelque chose que l’on a jamais vu auparavant dans le cinéma français.

Ainsi, Luc Besson se montre-t-il comme le maître de l’innovation : il a cette posture depuis longtemps, lui qui avec son Arthur et les Minimoys avait déjà participé à l’essor des industries de l’image animée françaises. Luc Besson, c’est notre investisseur, notre entrepreneur du cinéma français. Certains innovent dans la confection de nouveaux produits, pour lui, le produit c’est le cinéma.

Et le résultat est époustouflant, des décors à couper le souffle, avec la meilleure technique et la meilleure précision que l’on peut trouver aujourd’hui en 2017. Tous les fans de science-fiction se régaleront devant le bestiaire qui est tout droit sorti des mêmes inspirations que celui de Star Wars : nouvelles formes, nouvelles langues, nouvelles cultures. Le voyage n’en est donc pas entièrement inintéressant.

Une lacune d’âme

Si ce film manque de quelque chose (en dehors de l’esthétique et de l’argent), c’est bien d’âme. Et même cruellement. L’histoire a beau être adaptée d’une bande-dessinée (qu’il faudrait que je lise, peut-être Besson s’est-il borné à reproduire un scénario déjà avorté dans le bouquin ?), l’intrigue est molle, convenue, comme beaucoup de choses dans le film. La romance entre les deux personnages principaux, si elle peut être parfois très drôle et intéressante, est la plupart du temps niaise et sans aucune saveur originale : où diable est l’exception française qui aurait dû inciter Besson à faire quelque chose de différent ?

On a le classique : un peuple ayant subi un génocide de manière collatérale réclame réparation et est poussé à faire une action terroriste. Les méchants généraux militaires humains au sommet de la hiérarchie sont bien sûr au courant et ont tout fait pour dissimuler l’existence de survivants à ce génocide ! Et en vous disant ça, je ne vous spoile rien, ceci est prévisible depuis la première demi-heure du film, et bien qu’on s’accroche à nos rêves pour espérer que le prévisible n’arrive pas, ce dernier se met irrémédiablement à exécution.

Une fin gâchée

Quand un film comme Valerian voit sa musique originale composée par l’illustre Alexandre Desplat, évidemment, terminer la scène finale déjà niaise et pleine de guimauve par un pauvre slow dégoté on ne sait où, c’est du manque de goût. Surtout pour enchaîner sur un un film de Luc Besson, écrit en blanc, teinté d’éclairs et de flammes bleus.

En fait, la fin et la manière dont le film fait la transition avec le générique résume tout à fait l’esprit de ce film : sans âme, sans goût, sans finesse. Dommage qu’autant de talent ait été mis dans la création de l’arrière-plan, si le sujet, en place d’être un château plein de mystères, n’est en fait qu’un mobile home du camping des flots bleus.

J’irai quand même voir la suite je pense, car je crois en l’homme en ce qu’il est capable d’apprendre de ses erreurs et de se rattraper dans le futur.