L’échec de Besson
Son dernier film, Lucy, a été un énorme succès surprise en 2014. Cela lui permettait, le vent en poupe, de monter n’importe quel projet qu’il aurait eu alors à l’esprit. C’est sur une bande dessinée de science-fiction française que son choix s’est portée. On ne va pas s’attarder dessus dans la mesure où les enjeux et les problématiques liés à l’adaptation n’ont ici que peu d’importance. Il semble, de plus, que les auteurs de l’œuvre aient aimé le film.
Cependant cela ne suffit pas. Le mal est fait : Europa Corp, qui produit et distribue le film, misait sur son succès pour la réalisation de plusieurs suites. Ce qui n’arrivera sans doute pas. En effet, le film est un échec : le film n’a rapporté au 14 août que 90 millions de dollars au box office mondial pour un budget de presque 200 millions de dollars. Il faudrait ainsi que le film cartonne en Asie pour éviter la catastrophe.
Comment expliquer cet échec ? Le Besson Bashing, un sport historique dans la critique française, repose sur l’idée que Besson serait un incompétent qui ne sait rien faire de bien. Pourtant, il est à l’heure actuelle le seul réalisateur français à avoir su monter un tel projet, d’une telle envergure. De plus, son « incapacité » notoire lui permet de tourner. Uniquement parce qu’il fait gagner de l’argent ? Inexact. Parce qu’il est un bon réalisateur.
Besson au pied de la lettre
Qui est Besson ? Un enfant en fait. Un gamin un peu malin, un peu surprenant, bref, un jeune prodige qui sait comment le système fonctionne, comment l’exploiter, sans avoir des capacités au dessus de la moyenne. Luc Besson, c’est un peu un enfant précoce, ni plus, ni moins. Plus intéressant : il est libre. Depuis que ses films sont considérés comme cultes, aux États-Unis comme en Europe, il possède une capacité de financement énorme juste avec son nom. Des films comme Le Cinquième élément ou Léon, objectivement ridicules, barrés, sont en fait déjà des plaisirs personnels communicatifs pour Luc Besson. Connaissons-nous quelque chose de plus fou que Jean Reno capable de dormir assis sur un fauteuil et qui a pour seul ami une plante verte ? Et bien, Luc Besson l’a fait.
Le véritable reproche à lui faire désormais, c’est sa paresse. Depuis plusieurs films, notamment les Minimoys, on constate qu’il ne fait plus que des choses très conforme à ce qui se fait ailleurs, et notamment à Hollywood. Luc Besson n’ose pas (plus?) sortir des sentiers battus, de peur d’être rejeté par un système industriel qu’il a participé à modeler sans jamais y avoir été accepté. Le petit « frenchie » qui reste devant la porte du paradis hollywoodien. C’est bien dommage. Parce que malgré tout, ses remontées nanardesques restent de vraies plaisirs cinéphiles. Dans Lucy, quel intérêt d’avoir invité le coréen Choi Min-sik pour mener un gang de dealer de drogue, d’autant plus que le film se déroule à Taiwan ! La réponse : Luc Besson est aussi un cinéphile. Il accomplit ainsi un rêve que les fans de Old Boy, ou de J’ai rencontré le diable, font : celui de faire rentrer cet acteur dans une pièce pour lui faire trucider des gens, foutre du sang sur les murs pour des raisons pas beaucoup plus profondes que « gna gna, je suis un méchant ultra-violent ». On avait, d’ailleurs, le même méchant dans Léon, mais incarné par Gary Oldman, en flic ripoux tueur d’enfant. Il manque alors chez Besson d’une véritable capacité de ré-invention.

Et Valérian dans tout ça ? On garde la même logique, et on recommence avec beaucoup d’argent : la présence de Rihanna (et, moins médiatique, de l’excellent Ethan Hawke!), ayant été largement utilisée lors de la communication autour du film, mais qui se limite finalement à 3 scènes… L’influence de d’autres films de science-fiction aussi, qui donne parfois un sentiment de déjà vu, ou de référence perpétuelle un peu perturbant (la voix du héros qui fait penser à celle de Néo dans Matrix, les vaisseaux qui évoquent Star Wars,…). L’ironie, c’est que tout cela n’est pas juste un mix-SF de fanboy. C’est justement Valérian, et plus largement la science fiction française qui avait inventé tout ce sur quoi Hollywood se reposera pendant les années 1970. C’est, en réalité, un retour aux sources. Le message à Hollywood est clair : vous nous avez pillé de notre culture, vous avez pris Mézières et Christin, vous avez pris Möbius, mais qu’importe. Nous aussi, on peut faire comme vous. C’est mal joué, mal écrit, un peu débile, moralement douteux (même si c’est vrai que l’amour est plus fort que le droit international)… C’est tout comme un film hollywoodien. Bravo Luc, chapeau bas.
Mais encore une fois le film est un échec : la presse américaine a démoli le film avant sa sortie, sans doute par peur d’une fuite des investissements, notamment chinois, vers la France, devenue plus accueillante (rassurante?) que le pays de Donald Trump. La presse française l’a froidement reçue, mais après tout, le film n’est pas très bon non plus. Seule l’Asie, et la Chine surtout, peuvent sauver du naufrage la quête bessonienne. Et si la Chine sauve Besson, nous rentrerons dans une nouvelle ère, dans laquelle les États-Unis ne font plus la pluie et le beau temps cinématographique. Ce sera, alors, une véritable révolution.
Article en réponse à la critique de Pierre Triollier
Valérian et la Cité des milles planètes (2017), de Luc Besson, avec D. DeHaan, C. Delevingne, C. Owen. Sortie le 26 juillet 2017.