Le rire de madame Lin – Rire encore, une dernière fois

Il ne s’y était pas trompé Wong Kar-wai en soutenant ce film dès sa projection à l’ACID, à Cannes – acte particulièrement inattendu : Zhang Tao est un jeune cinéaste chinois, dont Le rire de madame Lin est le premier long-métrage. Avec un tel parrainage, on ne pouvait être que curieux de découvrir cette œuvre atypique, sorte de quasi-Voyage à Tokyo bis, moderne et cruel.

Elle navigue de maison en maison, de chez son aîné à sa cadette, en passant par différentes nuances socio-familiales. Elle qui avait pourtant élevé autant d’enfants. Elle, si active, voit l’âge la rattraper. Cette vieille dame qui, désormais, n’est presque plus jamais en mouvement, devient une sorte de pilier, une présence, que le spectateur voit, parfois, au premier plan, parfois, dans un reflet. C’est une figure silencieuse, calme. Mais jamais, elle n’intervient dans son environnement, jamais elle n’est plus qu’une gêne inutile, comme tous les gens de son âge. C’est désormais une sorte de totem qu’on garde pour faire gage de bonne foi, de politesse. « Je m’occupe de ma (vieille) mère ». Continuer la lecture de « Le rire de madame Lin – Rire encore, une dernière fois »

[Lumière 2017] On se souvient de Wong Kar-Wai (Jour 8-9)

Le grand jour est enfin arrivé. L’amphithéâtre 3000 est bondé, les invités sont nombreux, tous réunis pour remettre le prix Lumière à Wong Kar-wai. Celui-ci s’est ainsi prêté au jeu du festival en retournant le lendemain le premier film et en venant à la cérémonie de clôture, à l’occasion de la projection en avant-première mondiale de la restauration de In The Mood for Love. Continuer la lecture de « [Lumière 2017] On se souvient de Wong Kar-Wai (Jour 8-9) »

[Lumière 2017] La Forme-ule secrète de l’eau (Jour 2)

Quand il rentre dans la grande salle de l’Institut Lumière, l’émotion est palpable. La présentation de son nouveau film était l’un des événements du Festival et il n’aura pas déçu. Lion d’Or à Venise et bien parti pour les Oscars, The Shape of Water (dites désormais « La Forme de l’eau ») est une merveille. Guillermo del Toro, ému par l’accueil qui lui a été fait, a rappelé l’importance de ce film pour lui : c’est la première fois qu’il parle vraiment de sa vie d’adulte, qu’il ne s’implique plus juste comme l’enfant qu’il a été et qu’il est – d’une certaine manière – toujours.

Si vous voulez découvrir La Forme de l’eau sans rien n’en savoir, sautez trois paragraphes !

Car en effet, La Forme de l’eau est bel et bien un film de monstre du maestro mexicain. Ici, comme toujours chez lui, la créature fascine, elle interroge, autant le personnage principal qui lui est confronté que le spectateur qui la regarde à travers un prisme social. Un monstre dit beaucoup sur nous même. Elisa Esposito (Sally Hawkins) est une femme de ménage, mutique, qui découvre sur son lieu de travail une espèce d’amphibien géant, qu’est chargé de dresser Richard Strickland (Michael Shannon). On pourrait lister les sujets abordé par Del Toro à partir de cette histoire, qu’on pourrait résumer très (trop) simplement : est-ce que le monstre ce n’est pas l’Homme ? Il faut se raconter des histoires (Del Toro qualifie ce film de « conte de fée »), pour à la fois surmonter les moments difficiles (comprendre actuellement, d’après ses dires), mais aussi apprendre à nouveau à rêver. Le personnage de Hawkins vit au-dessus un immense cinéma, presque toujours quasi-vide quand il nous est montré, le propriétaire s’avère d’ailleurs incapable de « rembourser les 4 spectateurs ».

Rêver, c’est aussi ce à quoi nous invite le réalisateur en constituant un univers totalement fantasmé : ça ressemble à l’idée qu’on a de l’Amérique de 1962, mais trop pour être vrai. On connaît l’importance du cadre chez lui, et ici, c’est un travail de reconstitution remarquable. Il va jusqu’à soigner les plus petits détail : on pensera au décor des appartements de Elisa et de son voisin (Michael Stuhlbarg), qui dégagent d’une chaleur incroyable. Rien ne semble être carton pâte collé contre un tuyau en PVC.

Il ne s’agit toutefois pas de fuir la réalité comme le feraient certains personnages du film (zapper pour éviter les informations à la télévision), mais de s’y confronter : le serveur raciste du dinner (refusant l’accès à un couple noir, en leur jetant un regard plein de haine), le machisme et la violence de Strickland (à la fois contre la créature, mais aussi contre les personnages qui l’entourent)… Le monstre est ici aussi humain que les autres personnages, on admire l’inventivité, la beauté de la photographie, la justesse de la musique de Desplat. La créature est belle, indéniablement, et la relation entretenue avec Elisa est absolument bouleversante. C’est autant un film sociétal qu’un film abordant frontalement des thématiques neuves dans le cinéma de Del Toro : la sensualité, la découverte du corps, la sexualité. C’est en effet parce que ni l’un ni l’autre ne peuvent communiquer de même voix que cela passe par le corps. Et comme ce corps n’a plus de sens en lui-même (Strickland couchant avec sa femme comme si c’était un objet muet, ayant deux doigts noicis et « puant »). The Shape of Water est une grande réussite et s’il est trop tôt pour dire s’il s’agit du plus beau film de Del Toro, on espère qu’il laissera sa marque.

Mais La Forme de l’eau c’est vraiment bien, et ça sort en février 2018.

Après l’inauguration de la plaque de Guillermo Del Toro sur le Mur des cinéastes, nous nous rendons au cinéma Lumière Terreaux pour découvrir l’une des œuvres les plus rares du festival : La Formula Secreta de Ruben Gamez. Comme film rare, invité de marque : Alfonzo Cuaron nous a fait l’honneur de parler un petit peu de ce court-métrage expérimental, ni surréaliste (et pourtant, si vous saviez), ni totalement politique (il aurait dû s’appeler « Coca-cola dans le sang » car il commence sur un plan où un homme subit une perfusion de soda américain). Bref, un machin de cinéma unique. C’était un honneur de le voir sur grand écran, dans une version restaurée. Mais le film n’a pas plus de sens pour autant. Voir un homme qui pêche des employés-costume cravate avec une corde de saucisses, voir un enfant qui porte successivement une vache qu’il vient de dépecer face caméra, puis sa mère, puis son père… C’est juste assez triste que le délire autour de la perfusion ne dure pas plus d’un plan. Si le geste de Cuaron, celui de promouvoir un tel film, est beau, c’est surtout qu’il s’agit de sauver, sauvegarder, accompagner un petit morceau de son histoire personnelle : il a eu l’occasion de rencontrer Ruben Gamez, d’échanger avec lui. La Formula Secreta, c’est l’héritage que l’hérité offre au plus grand nombre… en fait, il l’offre à celui qui voudra bien prendre le temps de le voir.

Enfin, dernière séance de la journée, Johnnie To ! Film tiré de la carte blanche de Wong Kar-wai, P.T.U. date de 2003. Thriller nocturne, il s’agit pour une troupe de policier de retrouver l’arme d’un collègue de la brigade anti-gang ayant été perdu lors d’une interpellation. Son rythme, à la fois souligné par sa lenteur et son apparent calme avant la tempête, est rythmé par des chansons de C-pop qui contrastent avec ce qu’on aurait l’habitude de voir. Mais du coup, cela conduit à une véritable stylistique propre à To : la nuit hongkongaise est lumineuse, les néons, les devantures de bâtiment, les lampadaires… Une ambiance fascinante qui se déchaîne sans pour autant totalement disparaître lors de quelques scènes d’action. Ces dernières, rares, sont d’ailleurs tout autant hypnotique que le reste. Il n’est pas surprenant que Wong Kar-Wai aime le film : il fait écho avec les siens. On pensera ainsi à Chungking Express, ou aux Anges Déchus, proposant aussi des portraits nocturnes d’une ville en perpétuel mouvement, condamné à l’accélération. Une véritable merveille, qui constitue sans doute d’une très bonne porte d’accès vers l’œuvre dense de ce grand cinéaste, qui s’est aussi essayé à la comédie romantique (le pas très bon Yesterday Once More, avec Andy Lau), mais est surtout connu pour ses polars : le diptyque Élection, le brillant Breaking News, Exilé, Running Out of Time,…!).